Avsnitt

  • Il y a 40 ans, le guitariste, chanteur, chef d’orchestre et producteur américain, Prince Rogers Nelson, faisait paraître l’album qui allait le hisser au firmament de la gloire internationale. Purple Rain deviendra, en effet, le marqueur temporel d’une épopée vertigineuse que le journaliste Ersin Leibowitch narre avec allant dans son dernier ouvrage Prince Xperience – Dans la tête du génie (Hors Collection Editions).

    Si le succès de Prince à cette période charnière de son existence ne souffre aucune contestation, l’envers du décor est plus sombre. C’est en substance ce que tente de révéler Ersin Leibowitch dans cet ouvrage vif qui s’intéresse aux circonvolutions artistiques et psychologiques d’un véritable génie dont les obsessions, les frasques, les tourments, l’insatisfaction permanente, la boulimie créative et l’arrogante incompréhension, le mèneront trop loin. Difficile de cerner un personnage aussi complexe et imprévisible. C’est l’exercice auquel se livre l’auteur de ce récit palpitant.

    Quelle lecture doit-on avoir de son désir perpétuel d’indépendance face aux inévitables injonctions du marché discographique ? Avait-il raison de défier les lois du marketing ? S’égarait-il en voulant conserver le contrôle absolu de ses productions ? A-t-il finalement précipité son inéluctable isolement ? Le secret savamment entretenu de ses travaux lui a-t-il porté préjudice ou magnifié son image ? Prince était un homme pétri de contradictions. En quête perpétuelle de nouveautés, il lui arrivait de faire volte-face, quitte à déboussoler ses rares interlocuteurs, comptant sur la fidélité réelle de ses aficionados.

    La frénésie de son quotidien lui a peut-être brûlé les ailes, mais comment ne pas saluer la qualité de ses réalisations et de ses prestations. Ses concerts, qu’ils fussent intimistes ou grandiloquents, ne suscitaient qu’admiration et acclamations. Ses apparitions surprises sur des scènes nocturnes ont fait sa légende. Le New Morning à Paris eut le privilège de l’accueillir trois fois lors de ces fameux marathons funk insensés. Prince était un indiscutable maestro dont l’indicible talent fascinait. Le choc de sa disparition, le 21 avril 2016 à 57 ans, fut d’autant plus sévère. Et pourtant, comme le raconte Ersin Leibowitch, les différentes pièces du macabre puzzle scellaient cette fin tragique aux barbituriques.

    Son lègue patrimonial est gigantesque car, comme le regretté guitariste Frank Zappa, Prince conservait l’intégralité de tout ce qu’il enregistrait. Ses archives ne manqueront pas de surgir au fil des années et nourriront l’appétit glouton de l’industrie du disque pour le plus grand bonheur des fans éplorés.

    Site internet de Prince.

    À écouter aussi Un tube, une histoire: «Purple Rain» de Prince

  • Le 25 septembre 1974, la ville de Kinshasa au Zaïre s’apprête à accueillir un combat de boxe historique. La rencontre devait opposer Mohamed Ali et George Foreman. Victime d’une blessure à l’arcade sourcilière, Foreman renonce temporairement à affronter son meilleur adversaire. Si la confrontation sportive est décalée d’un mois, le festival de musique est, lui, maintenu aux dates initiales. James Brown, Miriam Makeba, Tabu Ley Rochereau, B.B. King, entre autres, seront de la fête et raviront les spectateurs congolais. C’était il y a 50 ans !

    L’intention de rapprocher les diasporas africaines transatlantiques est manifeste et Don King, promoteur américain de ce rendez-vous unitaire, y voit l’occasion de célébrer le peuple noir sous le haut patronage de l’omnipotent président Mobutu. Si l’enjeu politique de cet événement n’échappa pas aux plus fins observateurs, l’élan universel résista à l’érosion du temps. Durant trois jours, des artistes unis par leurs origines ancestrales africaines célébreront leur force expressive commune. À cette époque, la fronde des mouvements de contestation contre la ségrégation aux États-Unis peine à ébranler les certitudes d’un pouvoir blanc toujours très répressif. Les grands orateurs ont été réduits au silence. John Fitzgerald Kennedy, Malcolm X, Martin Luther King, Bobby Kennedy ne sont plus et les seuls porte-paroles, déclarés ou non, de la lutte antiraciste sont les artistes et les sportifs dont l’aura populaire provoque un sursaut citoyen.

    Mohamed Ali est alors une icône dont les discours sont écoutés et dont les mots marquent les esprits : « Je pensais que le Congo était une immense jungle avec des animaux sauvages prêts à nous attaquer parce que c'est l'image qu'en donnent les États-Unis. Les américains ont peur de venir ici. Et finalement, j'ai découvert un peuple amical, un pays structuré avec des aéroports, des hôtels, de jolies maisons, des boîtes de nuits, c'est très accueillant. Pour vous dire la vérité, je pense que la jungle se trouve à New York. Vous avez des flics partout, armés jusqu'aux dents, on entend parler de meurtres tous les jours, de trafics de drogues, de viols de jeunes femmes, de vols à la tire... Encore récemment un type a fait irruption dans une banque et a tué 12 personnes, des accidents de train ont eu lieu, voilà ce qu'est l'Amérique aujourd'hui ! Ici, c'est si calme, les sauvages sont aux États-Unis. J'ai beaucoup voyagé et je peux témoigner de la différence entre plusieurs pays. J'arrive de Paris, et croyez-le ou non, ce sont des noirs qui pilotaient l'avion... Impensable aux États-Unis ! ». (Extrait du documentaire When We Were Kings réalisé par Léon Gast)

    Mohamed Ali n’est pas le seul à revendiquer ses liens avec le continent africain. Le Roi du Blues, présent à Kinshasa en ce mois de septembre 1974, paraît lui aussi atterré par l’image désastreuse que la grande Amérique renvoie de l’homme noir à travers la planète et s’indigne des méfaits de l’esclavage sur ses contemporains : « Je nous vois comme de pauvres noirs qu'on aurait abandonnés dans le désert. On nous a séparés de notre culture ancestrale et largués au milieu de nulle part. Nous savons que nous avons une terre quelque part sur cette planète qui nous appartient. Nous ressentons les liens qui nous unissent à cette terre, mais nous ne savons pas où elle se trouve. Elle est en nous, mais nous devons trouver ceux qui pensent et vivent comme nous. Et aujourd'hui, nous sommes ici au Zaïre, nous sommes très bien accueillis, et même si nous ne comprenons pas la langue de ce pays, nous savons que des racines culturelles nous rapprochent au-delà du temps qui passe, au-delà des drames et des morts... » (Extrait du documentaire When We Were Kings réalisé par Léon Gast)

    Cette réunion œcuménique de talents afro-confraternels ne règlera évidemment pas le problème des discriminations. Les exactions se poursuivront et les injustices subsisteront mais, durant quelques heures, une volonté sincère de faire entendre la voix de la raison et d’afficher la puissance sociale d’une communauté africaine soudée redonnera espoir aux combattants de la liberté. Un demi-siècle plus tard, ce vœu n’est peut-être pas exaucé, mais il inspire toujours les âmes sensibles et les hommes et femmes de bonne volonté.

    Le Festival Jazz de Kinshasa accompagne d’ailleurs cette année cette profession de foi en choisissant de hisser le flambeau : « Jazz for Peace ».

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  • Parler de « la musique africaine » est un non-sens tant ce continent recèle de rythmes, mélodies, traditions et langages divers. Est-il pertinent de réunir sous une seule bannière des formes d’expression aussi différentes que le Makossa, l’Afrobeat, le Kwaito ou le Maloya ? Le dénominateur commun à tous ces vocabulaires sonores ne peut être que la dimension internationale de leur histoire. Que l’on perçoive ou non cette évidence, les musiques populaires actuelles ont toutes un enracinement africain. Pour autant, les fondre dans une appellation générique serait fort réducteur car chacune d’elles identifie un peuple, révèle une culture, détermine sa place dans L’épopée des musiques noires.

    Tutu Puoane, Ablaye Cissoko ou Mokhtar Samba ont-ils des points communs ? Outre leurs origines africaines, ils ont tous une histoire propre qui les distingue les uns des autres. La chanteuse Tutu Puoane est une artiste sud-africaine qui défend ses racines avec vigueur en mettant en musique les mots de sa consœur poétesse Lebogang Mashile. Cette implication sincère revêt certainement un caractère revendicateur même si la principale intéressée préfère parler de célébration romantique de sa culture ancestrale. Tutu Puoane ne se considère pas militante. Elle se plaît seulement à exprimer ses états d’âme qui, parfois, rejoignent les préoccupations de ses contemporains. Sa participation au collectif « Black Lives – From Generation to Generation » en est une belle illustration. L’intention est louable puisqu’elle encourage la tolérance et l’unité des peuples du monde entier, sans discrimination, sans préjugés, sans idées préconçues.

    Ablaye Cissoko fait également partie de ces esprits sages qui insufflent la concorde au-delà des frontières géographiques de son Sénégal natal. Virtuose de la kora, il promeut le partage et l’écoute en multipliant les projets multicolores. Avec son ami Simon Goubert, brillant batteur français, il a imaginé il y a 15 ans un orchestre dont les effluves musicaux transcendent les nationalités. « African Jazz Roots » fit paraître un premier album en 2012 et veille depuis à entretenir la flamme du consensus rythmique et mélodique. Une fois de plus, le continent africain, pétri de nombreuses sources sonores, nourrit l’universalisme de la musique.

    Le batteur Mokhtar Samba ne peut que souscrire à cette définition incontestable. Ce maestro de la cadence africaine assumée est le fruit de plusieurs cultures. Ses racines marocaines et sénégalaises ont favorisé son ouverture d’esprit et accéléré sa compréhension de la « clave », ce rythme afro-planétaire que des milliers de musiciens ont dû appréhender pour développer leur personnalité artistique. Certains l’ont acquis avec effort, d’autres l’ont simplement ressenti et façonné à leur guise. Pour Mokhtar Samba, la maîtrise de cet art est innée. Elle s’inscrit dans son ADN culturel. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que son dernier album Safar soit un voyage international dont le tempo africain ponctue les différentes étapes.

    À lire aussi sur RFI Musique Courants musicaux africains

    Site internet Tutu Puoane Music

    Site internet African Jazz Roots

    Facebook Mokhtar Samba

  • Délimiter l’espace caribéen est souvent périlleux car cette région du monde est une addition miraculeuse de cultures hybrides et de territoires ultramarins malmenés par l’histoire. Cette myriade de destinées populaires a donné naissance à une identité revendiquée. Pourtant, être Antillais, Jamaïcain, Trinidadien ou Cubain, ne peut se résumer à une simple affirmation unitaire. Les spécificités régionales, les idiomes locaux, les rythmes et harmonies, distinguent chaque créolité. Les musiciens en sont les garants.

    Leyla McCalla est, certes, née aux États-Unis mais ses racines parentales la ramènent constamment à la source haïtienne de son expressivité. Chacun de ses albums distille cette émanation originelle qui inscrit son être tout entier dans une histoire patrimoniale façonnée par les soubresauts existentiels de ses ancêtres. Autrefois, à Port-au-Prince, la petite Leyla écoutait Radio Haïti chez sa grand-mère. Elle se souvient toujours aujourd’hui des voix et des musiques qui accompagnaient sa jeunesse auprès de ses aïeux. L’assassinat de Jean Dominique, directeur de cette antenne légendaire, le 3 avril 2000, suscitera tant d’émoi que Leyla McCalla imaginera un album partiellement composé d’archives sonores entendues sur cette station libre et indépendante. « Breaking the thermometer » sera l’écho de cette émotion vive qui ébranla les partisans de la liberté.

    Haïti est une terre rebelle où défier le colonialisme est un combat ancestral. Le saxophoniste montréalais Jowee Omicil a fait paraître en 2023 un album destiné à panser les blessures. En remontant jusqu’au 14 août 1791, il convoque un passé redoutable quand les esclaves de Bois-Caïman, réunis lors d’une cérémonie vaudoue, envisagent déjà la fronde qui mènera à la révolution citoyenne de 1804 et à l’indépendance de ce pays meurtri. Toussaint Louverture, figure éminente de cet événement historique, n’est cependant pas le pilier de ce disque audacieux. L’intention artistique est davantage mue par un désir de guérison spirituelle que le free jazz peut nourrir. Ce jaillissement de notes multicolores est un cri libérateur que l’on doit accueillir avec candeur et compréhension.

    Les territoires caribéens ont tous souffert du poids de l’oppression européenne. La Jamaïque, par exemple, fut très longtemps administrée par la couronne britannique. Les soulèvements populaires répétés furent souvent étouffés par la mainmise d’une violente tutelle. Lorsque le pianiste Monty Alexander voit le jour le 6 juin 1944 à Kingston, l’indépendance de la Jamaïque est encore loin d’être acquise. Les tensions politiques ne cessent de croître et poussent certaines familles à rejoindre les États-Unis. Le jeune Bernard Montgomery Alexander échappera donc à une jeunesse trop âpre en suivant ses parents à Miami et à New York. Pour autant, ses souvenirs d’enfant jamaïcain surgiront naturellement dans sa musicalité d’instrumentiste aguerri. À 80 ans, sa virtuosité de jazzman n’élude pas sa culture initiale. Comme nombre de ses contemporains caribéens, Monty Alexander a su conjuguer son goût pour le swing américain et son attachement au ska et au mento jamaïcains.

    Questionner son identité n’est pas forcément un acte délibéré. Souvent, une parole ou une mélodie suffit à révéler l’essence d’une tradition. Georges Granville ne revendique pas ses liens avec la Martinique, il les laisse apparaître. Son jeu au piano dévoile sans ostentation une culture antillaise certaine mais il ne l’impose pas. Son album Perspectives nous laisse vagabonder dans son cheminement mélodieux. Les Beatles croisent Chick Corea, le Bèlè semble circonvoluer avec Keith Jarrett. Cette créolité crédule est peut-être le dénominateur commun à toutes les composantes de l’identité caribéenne.

    Le site de Leyla McCalla

    Le site de Jowee Omicil

    Le site de Monty Alexander

    Le site de Georges Granville

  • La destinée du peuple afro-américain au fil des siècles a fait naître, souvent dans la douleur, des formes d’expression revendicatrices dont la vigueur a identifié ce que l’on a appelé la « Black Music ». Cette dénomination réunit des dizaines de genres musicaux qui continuent de se développer et de dessiner les contours de notre paysage sonore mondial. Le blues et le gospel sont les matrices de ces évolutions progressives vers une universalité artistique. Nos invités, auteurs, spécialistes, passionnés, relatent la genèse d’une culture séculaire.

    Dater la naissance de la musique afro-américaine est assez périlleux car elle épouse la lente progression sociale de la communauté noire outre-Atlantique. Elle est le fruit amer d’une rencontre violente entre colons européens et esclaves africains. Elle est l’addition de rythmes et d’harmonies, de traditions séculaires et d’empreintes identitaires. La témérité des musiciens noirs sera déterminante pour affirmer leur place dans une société profondément inégalitaire. Le blues et le gospel symboliseront cette recherche perpétuelle d’équilibre entre le profane et le sacré, entre le corps et l’esprit, entre la réalité du quotidien et l’espoir d’un avenir meilleur. Les artistes ont souvent évoqué cette quête de sérénité et de justice.

    La poésie des mots et la cinglante magie des notes ont façonné une histoire populaire qui transpire dans les œuvres de nombreux instrumentistes et interprètes. Lead Belly fut un pionnier dont le répertoire folk a résisté à l’érosion du temps. Son patrimoine musical est un lègue inestimable qui continue d’inspirer les créateurs actuels. Né à la fin du XIXè siècle, il connut les affres de l’homme noir confronté au racisme institutionnalisé. Il y puisera une force rebelle qui finira par séduire ses contemporains. Ce cheminement tortueux a guidé la plume d’Amaury Cornut, auteur d’un livre passionnant entièrement consacré à ce héros mésestimé de la composition narrative authentique.

    Lorsque l’on cherche les vestiges d’une aventure humaine exceptionnelle, certaines traces indélébiles réapparaissent toujours et attestent d’un engagement sincère. Le guitariste et chanteur Son House a failli échapper au récit épique de la culture américaine. Disparu des radars pendant près de 20 ans, ce n’est qu’en 1963 que son nom rejaillit grâce à la curiosité de jeunes adeptes du blues ancestral. Son retour dans le feu des projecteurs réhabilitera son répertoire qui, aujourd’hui encore, fascine les virtuoses de notre temps. Olivier Renault a su restituer ce périple unique dans un ouvrage édifiant paru aux éditions « Le Mot et Le Reste ».

    Batailler pour survivre fut tristement la norme aux États-Unis durant le XXè siècle. Certains choisiront les armes, d’autres les prières. Une fois encore, l’ambivalence entre le blues et le gospel rythmera l’activisme des citoyens noirs américains au fil des décennies. La guitariste et chanteuse Sister Rosetta Tharpe fut l’une des vaillantes voix de la contestation pieuse. Derrière ses prêches enflammés se cachait une battante qui n’hésitait pas à sortir du cadre spirituel pour asséner quelques vérités et vivre pleinement ses convictions. Sa vigueur instrumentale détona singulièrement à tel point qu’elle fut présentée comme l’instigatrice d’un genre musical révolutionnaire, le rock ‘n’roll. S’agit-il d’un raccourci de l’histoire ? Jean Buzelin, auteur et spécialiste de la culture afro-américaine, s’est posé la question dans une étude passionnante disponible aux éditions Ampelos.

    Qui peut réellement décréter que le rock’n’roll vit le jour ici ou là ? Cette irruption stylistique des années 50 est le résultat d’une mutation progressive que Belkacem Meziane décrypte dans une énumération littéraire éclairée des différents courants constitutifs du rhythm’n’blues initial. Du Boogie-Woogie à la Soul-Music, le vocabulaire s’est enrichi et le tempo s’est affirmé. L’élan frondeur a subsisté et a nourri les soubresauts salvateurs de l’Amérique noire.

    ► Lead Belly, aux éditions Le Mot et le Reste

    ► Son House, aux éditions Le Mot et le Reste

    ► Sister Rosetta Tharpe, la femme qui inventa le rock'n'roll, par Jean Buzelin, aux éditions Ampelos

    ► Rhythm'n'Blues : Jump Blues, Doo-Wop & Soul Music - 100 Hits de 1942 à 1965, aux éditions Le Mot et le Reste.

  • Depuis le milieu des années 80, le parc de la Villette à Paris accueille avec gourmandise les musiciens les plus audacieux, intrépides et frondeurs. « Jazz à la Villette » est l’héritier de cette périlleuse tradition qui entend bousculer les conventions et ouvrir l’esprit des spectateurs. Cette avide curiosité pour les expériences sonores continue de nourrir l’inspiration des programmateurs qui, cette année, au cœur des Jeux Paralympiques, proposeront une affiche palpitante. Discussion à bâtons rompus avec Anne Sanogo et Frank Piquard, instigateurs de cette édition 2024.

    Si la diversité des cultures mondiales est le cœur battant du festival « Jazz à la Villette », le continent africain est le pilier de cet événement annuel incontournable à Paris. Qu’ils viennent des Caraïbes, des Amériques ou d’Europe, les musiciens qui se produisent lors de cette manifestation d’envergure portent tous un regard vers la source africaine de leur expressivité. Ainsi, du 29 août au 8 septembre 2024, Tinariwen, Anthony Joseph, Kenny Garrett ou Delgrès, entre autres, revitaliseront leurs racines ancestrales avec une jubilation communicative. L’effervescence populaire née des Jeux Olympiques va certainement accompagner les prestations de tous ces instrumentistes aguerris.

    Pour l’occasion, « Jazz à la Villette » se démultiplie en sortant de son espace géographique habituel. Outre la Philharmonie et la Cité de la Musique, d’autres prestigieuses salles de spectacles ouvriront leurs portes aux spectateurs et virtuoses enjoués. Le New Morning, le Studio de l’Ermitage, la Dynamo de Pantin, scintilleront de mille feux. L’atelier du plateau et le périphérique-club vibreront également sur des rythmes multicolores. La tradition est respectée. La flamme de l’éclectisme ne vacillera pas. Cette promesse jazz, héritée de premiers concerts donnés il y a 40 ans à la Villette, a résisté à l’érosion du temps.

    Les souvenirs ne manquent pas. Miles Davis, Dizzy Gillespie, John Mayall, Nile Rodgers, Gregory Porter, Archie Shepp, Femi Kuti, Salif Keita, Chucho Valdès, Oumou Sangaré, et tant d’autres, ont écrit l’histoire vivifiante du jazz et des musiques connexes à la Villette. Progressivement, ce lieu unique à Paris a su développer une offre culturelle imposante et toujours enthousiasmante. L’intention patrimoniale n’était pas nécessairement une exigence initiale mais elle s’est imposée d’elle-même au fil des années. Il est heureux que cet élan mémoriel parvienne malgré tout à restituer l’air du temps. Le festival « Jazz à la Villette » s’y emploie depuis des décennies et nous le prouvera, une fois de plus, à la fin de l’été.

    ► Le site de Jazz à la Villette.

  • Créé en 2016 dans le but de célébrer les échanges interculturels de la diaspora africaine dans le monde, le « Paris New-York Heritage Festival » a progressivement évolué en développant des concepts interactifs sur plusieurs continents. En Afrique, en Europe, aux Amériques, ce rendez-vous annuel suscite des rencontres, des colloques, des ateliers, pour que les acteurs de la diversité se parlent et se comprennent. Cette année, les festivités accompagnent les Jeux olympiques grâce à divers événements musicaux du 27 juillet au 15 septembre 2024.

    Benjamin Lévy, instigateur de cet événement international, évolue dans l’univers artistique depuis des décennies. Aux côtés des plus grandes figures du jazz, du blues, de la soul-music ou du gospel, il a soutenu des projets discographiques d’envergure, accompagné des prestations uniques, initié des programmes musicaux inédits. Son cheminement dans L’épopée des musiques noires lui a permis de croiser la route et de collaborer avec des personnalités aussi prestigieuses que James Brown, Archie Shepp, Roy Ayers, Billy Cobham, Herbie Hancock, Tony Allen, Alpha Blondy, etc. Il sait donc mettre en scène la pluralité éclectique de notre XXIè siècle.

    Lorsque Benjamin Lévy inventa le Paris New-York Héritage Festival, l’intention était de créer un pont transatlantique entre les diasporas afro-européennes et afro-américaines. Très vite, ce choix éditorial montra ses limites. Par définition, l’universalité de la musique imposait de se tourner, aussi et surtout, vers la source originelle des métissages mondiaux, le continent africain, lui-même. Ainsi, plusieurs villes vinrent grossir l’affiche de ce festival global : Johannesburg, Vancouver, Montréal, Los Angeles, finirent par rejoindre Paris et New York dans cette célébration des patrimoines ancestraux. Subitement, les distances géographiques n’existaient plus, seule la ferveur des spectateurs rendait ce défi œcuménique palpable. Les hommages à Fela Anikulapo Kuti, au génial Prince, à Gil Scott Heron, par leurs amis et contemporains nourrissaient l’esprit collégial et unitaire de cette grand-messe afro-palpitante.

    De Brian Jackson à Vieux Farka Touré, les plus grands représentants de la culture noire ont animé ce festival au fil des années. Aujourd’hui, l’enjeu d’une entente cordiale entre les peuples du monde entier est au centre de toutes les préoccupations alors que les velléités guerrières fragilisent les équilibres géopolitiques. L’art peut être une voie d’apaisement. Au cœur des Jeux olympiques, l’élan insufflé par le Paris New-York Heritage Festival n’est pas anodin. Entendre les mots de la conférencière et animatrice de radio sud-africaine, Nicky B, est une chance. Vibrer sur les notes caribéennes de David Walters est salutaire. Taper du pied en applaudissant le rythme funk du groupe canadien, The Brooks, réconforte. Tous ces moments sont la promesse d’une édition 2024 inscrite dans l’idéal olympique. Rendez-vous dans la fan-zone de la Mairie du XVè arrondissement de Paris et au Parc André Citroën jusqu’au 15 septembre 2024 pour goûter aux valeurs fédératrices de la musique et du sport.

    Programmation du festivalParis New-York Héritage Festival

  • Durant toute la durée des Jeux olympiques, le Sunset-Sunside, club historique de la capitale française, se lance un défi inédit : proposer chaque soir trois concerts d’affilée consacrés aux icônes du jazz. De Charlie Parker à John Coltrane, de Miles Davis à Nina Simone, ils seront tous célébrés par les meilleurs musiciens français actuels emmenés par le maître de cérémonie, le pianiste Laurent Courthaliac. Ce marathon jazz imaginé par Stéphane Portet, directeur artistique du club, est labellisé « Paris 2024 ».

    Le Sunset-Sunside est l’un des cœurs battants du jazz à Paris depuis 40 ans. Installés dans la même bâtisse sur deux niveaux, ce sont en fait deux clubs qui vibrent simultanément tout au long de l’année. 850 concerts sont programmés de janvier à décembre. L’idée d’un marathon du jazz n’est donc pas une lubie farfelue pour les équipes organisatrices qui savent accueillir instrumentistes et spectateurs de tous horizons. La seule difficulté sera certainement le rythme soutenu de trois prestations par soir et, parfois, jusqu’au bout de la nuit. L’afflux assez conséquent de touristes durant les Jeux olympiques sera également un challenge à relever mais chacun se prépare avec ferveur à cette aventure artistique unique.

    Laurent Courthaliac sera le « Monsieur Loyal » de ces rendez-vous musicaux intenses. Depuis 30 ans, ce fin connaisseur du swing afro-américain a appris à s’adapter aux contextes sonores et situations diverses pour faire jaillir son expressivité personnelle. Aux côtés des grands virtuoses de notre temps – Ron Carter, Barry Harris, Alain Jean-Marie –, il a développé une musicalité pianistique indéniable qui légitime son statut de chef d’orchestre lors de ce marathon du jazz palpitant. Il conviera d’ailleurs nombre de ses homologues à venir le rejoindre sur scène pour honorer les figures historiques de la culture noire. Hermon Méhari rendra grâce au trompettiste Dizzy Gillespie, Irving Acao saluera son aîné Sonny Rollins, Julie Erikssen interprétera Ella Fitzgerald, et ce ne sont là que quelques exemples des révérences proposées au fil des semaines.

    Laurent Courthaliac sait réunir les bonnes âmes pour magnifier les répertoires. Il est l’un des instigateurs d’un coffret de 9 CDs réalisé chez lui pour le label « Jazz&People » de Vincent Bessieres. Cette folie discographique, nommée « At Barloyd’s », rencontra un vif succès en 2018 en offrant un espace d’expression conséquent à neuf pianistes français de toutes générations. Finalement, l’idée du marathon du jazz que propose le Sunset-Sunside était déjà dans les esprits. Pour Stéphane Portet, cette bravade jazz parisienne épouse l’intention olympique. Partager, échanger, se dépasser, se révéler, toutes ces valeurs d’unité et de concorde sont les matrices du sport et de la musique.

    ► Site internet du Sunset-Sunside

  • Après avoir accueilli Aretha Franklin autrefois, Stevie Wonder plus récemment, Lionel Richie en 2023, le Montreux Jazz Festival continue de célébrer les grandes figures de « L’épopée des Musiques Noires ». L’édition 2024 n’échappe pas à la règle puisque l’illustre Dionne Warwick a fait scintiller le Casino de Montreux en Suisse, le 9 juillet 2024.

    À 83 ans, l’étoile de l’art vocal a su captiver son auditoire même si sa tessiture, devenue fragile, attestait du poids des années. C’est pourtant à une véritable soirée de gala que cette interprète unique nous convia ce soir-là. Dès son entrée sur scène, les premières notes de « Walk on by » résonnent et, durant 90 minutes, les grands classiques de la Soul-Music et de la variété américaine vont régaler les spectateurs. « Say a little prayer », « That’s what friends are for », « What the world needs now », le répertoire de cette grande dame épouse la bande son de notre temps. L’accompagnement délicat de ses musiciens nous projette dans la tradition du music-hall sans que la nostalgie n’altère la jubilation du moment. Dionne Warwick est, certes, fébrile à cause d’un mauvais rhume mais son humour et sa présence impressionnent et fascinent. Du haut de ses 60 ans de carrière, elle sait jouer avec le public, le chahuter, le charmer, et l’ensorceler. Rejointe par son fils, Damon Elliott, elle s’amusera même à lui lancer le défi d’atteindre la note ultime devant une foule hilare et enthousiaste. À l’issue de cette belle prestation, l’émotion était vive car chaque festivalier avait conscience d’avoir assisté à un événement rare dont les images resteront gravées dans les mémoires.

    En première partie de cette nuit étincelante, le jeune Christone Kingfish Ingram eut la lourde responsabilité d’installer un tapis sonore suffisamment subtil pour ne pas froisser les oreilles impatientes d’écouter Madame Warwick. Pari réussi pour ce guitariste de 25 ans, originaire de Clarksdale (Mississippi), dont les notes ciselées ont déjà conquis de nombreux fans à travers la planète. Honoré d’un Grammy Award en 2022, son étonnante maîtrise et son savoir-faire ont été copieusement acclamés par les amateurs de blues suisses qui ont vu ce trublion attachant traverser la salle de spectacle pour conquérir leur cœur et leurs suffrages. Kingfish, qui n’était pas au programme initial du 58ème Montreux Jazz Festival, a fait sensation. Nul doute que nous le reverrons en Europe très souvent tant sa virtuosité a fait mouche. Pour vous en convaincre, écoutez son dernier album enregistré à Londres le 6 juin 2023. Vous découvrirez la finesse de son jeu et son impétueuse texture afro-américaine.

    Le Montreux Jazz Festival s’achève ce week-end et, une fois de plus, l’éclectisme a dicté les choix des programmateurs conjuguant la fougue de Trombone Shorty au romantisme de Diana Krall, en osant les expérimentations rythmiques du batteur Yussef Dayes et les cavalcades de guitares du groupe Deep Purple, en accueillant des voix singulières, celle de Jalen Ngonda, par exemple. Un cocktail savoureux dont se délectent les aficionados de notes multicolores depuis 1967.

    ► Le Montreux Jazz Festival

    ► Site officiel de Dionne Warwick

    ► Site de Christone Kingfish Ingram.

  • On ne le sait pas, mais derrière les choix artistiques de certains instrumentistes ou interprètes du rock anglo-saxon, il y a une culture musicale beaucoup plus riche qu’il n’y paraît. Ian Gillan, chanteur historique du groupe Deep Purple, n’est pas que le majestueux hurleur du classique « Smoke on the Water ». Il est un admirateur des icônes du blues originel, un amateur éclairé de soul-music et un auditeur fervent du répertoire jazz. Alors que paraît « = 1 », le nouvel album de Deep Purple, Ian Gillan nous parle de ses nombreuses incursions dans l’univers sonore afro-américain.

    Invité au Montreux Jazz Festival en Suisse, le 8 juillet 2024, Deep Purple a fait rugir les décibels en assénant quelques riffs de guitare explosifs devant des milliers de spectateurs totalement électrisés. Au-delà de cette prestation très attendue, les protagonistes de cette épique soirée nous ont prouvé que leur musique ne se résume pas à une succession de notes puissantes et de classiques inusables. Derrière ce mur du son, il y a des instrumentistes aguerris et inspirés dont l’élan artistique provient de « L’épopée des Musiques Noires ». Ian Gillan, le leader de cette imposante formation britannique, reconnaît volontiers que la source de son inspiration est un patrimoine sonore ancestral que les Noirs d’Amérique ont forgé au fil des siècles. « N’oublions pas que cette musique est née dans le delta du Mississippi, puis est remontée vers Kansas City, Saint-Louis et enfin Chicago. En suivant ce long voyage temporel et géographique, vous pouvez ressentir l’évolution du blues. C'est ce que j'appelle le blues authentique. D’ailleurs, les ritournelles composées à l’époque sont des petits bijoux qui racontent l’histoire du peuple noir. Sur notre dernier album, vous remarquerez peut-être la chanson « A bit on the side », c’est un titre très puissant dans lequel la section basse-batterie est imposante mais, si vous tendez l’oreille, vous entendrez une allusion au titre « Parchman Farm » de Mose Allison. Curieusement, cela m’est revenu à l’esprit car cette mélodie fait partie de mes années de jeunesse quand j’étais en plein apprentissage musical. Je me souviens de ces paroles très intenses que j’avais apprises par cœur. Au moment de l’enregistrement, je me disais : « D’où viennent ces mots qui me trottent dans la tête ? ». Ils étaient juste dans ma mémoire lointaine. Je pense donc avoir une préférence pour le blues des origines et même, le jazz des origines, celui des années 20 qui est beaucoup plus attractif que le be-bop des années 40. Il y a dans ces musiques une tonalité encore immature, presque adolescente, c’est l’expression naturelle d’un vécu souvent douloureux. Dans ce répertoire d’un autre temps, on évoque les troubles sociaux, les abus de pouvoir. Il faut d’ailleurs savoir déceler le message transmis par tous ces artistes afro-américains d’autrefois car il y avait souvent une double signification. Si vous n’y prêtez pas attention, vous passerez à côté des messages que véhiculaient ces chansons. Les artistes noirs utilisaient des codes pour pouvoir exprimer leur mal-être sans que les Blancs ne s’en rendent compte. Tous ces gens étaient traités comme des animaux. Ce sentiment de désespoir a survécu à travers la musique et s’est retrouvé dans le blues de Chicago. Il est, certes, devenu plus commercial au fil du temps mais le message d’origine est resté vivace, grâce notamment à B.B King et, bien entendu, Muddy Waters ». (Ian Gillan au micro de Joe Farmer)

    Si Ian Gillan laisse entrevoir sa passion pour les musiques rurales et acoustiques du sud des États-Unis, il tient aussi à mettre en valeur la maestria de ses comparses dont les connaissances encyclopédiques leur permettent d’aborder tous les répertoires avec un goût certain et une profonde maîtrise. Ils sont, à ses yeux, de fins solistes capables d’imprimer un swing jazz solide échappé des entrailles de l’histoire. « Notre batteur, Ian Paice, est un grand amateur de Gene Krupa, l’un des plus grands rythmiciens du début du XXè siècle. Il avait le don de faire danser n’importe quelle composition. Peu de batteurs dans l’univers du rock ont ce talent. La plupart se contentent de marteler le rythme sans grande finesse. Je vous conseille de réécouter le jeu de batterie de Ian Paice sur « Smoke on the water », et vous constaterez la légèreté avec laquelle il développe le rythme sur cette composition historique. Les membres originaux du groupe Deep Purple avaient des influences musicales très diverses. Ils s’intéressaient aussi bien à la musique classique, au funk, au blues, au jazz et à la folk-music. N’oublions pas que nous étions en pleine période hippie. Il y avait donc beaucoup de dynamique dans le répertoire du groupe à l’époque. L’impulsion originelle venait de la culture musicale éclectique de John Lord, le pianiste, de Ian Paice, le batteur, et de Richie Blackmore, le guitariste. Quand on écoute les solos de John Lord au piano ou de Richie Blackmore à la guitare, on oublie trop souvent le swing presque jazz qu’ils apportaient à la rythmique. Leur contribution était essentielle pour soutenir un chanteur. Avant de rejoindre le groupe, en août 1969, j’avais acheté les trois premiers albums de Deep Purple et j’ai trouvé, à l’époque, que leur musicalité était incroyable, unique. Aucun autre groupe ne sonnait comme eux. Il y avait un swing particulier dans leur manière de jouer du rock. On pouvait déceler cette part de patrimoine afro-américain dont il s’inspirait de manière totalement naturelle. Je fus très heureux de participer à cette aventure lorsque je les ai rejoints. Tout cela pour vous dire que ce n'est pas qu'une question de rythme, il s’agit aussi de peaufiner une texture musicale, une couleur sonore, une beauté harmonique spécifique. Il y avait du panache dans leur manière d’appréhender la musique. Ils savaient à quel moment ils devaient jouer avec les silences, un peu comme le ferait un jazzman. Le rock‘n’roll n’est pas nécessairement une musique bruyante. Mes héros n’étaient pas seulement Elvis Presley, Little Richard ou Chuck Berry, c’était aussi Buddy Holly et les Everly Brothers. En d’autres mots, des artistes beaucoup plus lyriques et mélodieux. Voilà ce qu’était mon rock‘n’roll ». (Ian Gillan sur RFI)

    Certes, l’album « = 1 » de Deep Purple appartient davantage à l’univers du rock robuste qu’à la complainte acoustique du bluesman éploré. Laissez tout de même vos oreilles apprivoiser cette emphase surpuissante pour capter les myriades de références musicales héritées de l’ancestralité afro-américaine subtilement distillées par le nouveau guitariste du groupe, Simon McBride. Vous entendrez Deep Purple d’une autre façon et, peut-être, serez-vous mieux préparés à accueillir ces virtuoses du rock lors de leur prochain concert dans votre ville…

    ► Le site de Deep Purple

    ► Le site du Montreux Jazz Festival.

  • Le 29 juin 2024, lors du 43ème festival « Jazz à Vienne », deux sensibilités féminines se croisaient sur la scène du Théâtre antique. La jeune pianiste et chanteuse réunionnaise Nirina Rakotomavo dévoilait sa musicalité jazz nourrie d’une créolité malgache que ses racines australes magnifiaient subtilement. Quelques heures plus tard, l’immense Oumou Sangaré affirmait ses convictions de femme libre à travers sa merveilleuse voix héritée des traditions africaines ancestrales. Nous étions sur place pour saisir l’humeur de deux interprètes uniques.

    Nirina Rakotomavo eut l’honneur d’être la première à insuffler ce soir-là l’esprit d’une programmation multicolore. Bien qu’elle se présente désormais sous son nom, c’est la tonalité de son groupe vocal initial, les selkies, qui nourrissait cette prestation très réussie. Les mélodieux entrecroisements de trois voix féminines portés par la virtuosité de leurs accompagnateurs inspirés donnaient à ce sextet une vigueur fort réjouissante. Nirina Rakotomavo n’est pas encore une figure majeure du jazz en France mais l’intention métisse de son répertoire la distingue de ses homologues. Soutenue par la Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes), cette jeune artiste saura manifester au fil des années l’authenticité de son identité culturelle. N’en doutons pas. L’ovation qui suivit sa brève mais enthousiasmante apparition au festival « Jazz à Vienne » en fut une preuve formelle.

    Avant l’arrivée de l’étoile du jour, les festivaliers furent particulièrement charmés par les « Égarés ». Ce quatuor magique, composé de Ballake Sissoko (Kora), Vincent Segal (Violoncelle), Vincent Peirani (Accordéon) et Émile Parisien (Saxophone), jouait avec les contrastes et les couleurs. Servis par une prise de son cristalline, ces quatre compagnons ont su mettre en valeur la spécificité de leurs instruments respectifs en liant malicieusement leurs notes créatives aux bourrasques d’un vent frais et humide annonciateur d’un orage estival approchant. Les oreilles curieuses ont clairement apprécié cette audace et les acclamations furent à la hauteur de cette joyeuse camaraderie musicale.

    La nuit tomba, la pluie ne tomba pas, et la flamboyante Oumou Sangaré illuminait les yeux des spectateurs venus entendre la voix unique d’une icône africaine planétaire. Davantage axé sur son dernier album Timbuktu, le récital de la « Reine du Wassulu » fut étincelant, frissonnant et réjouissant. Certains spectateurs n’ont d’ailleurs pu résister à l’envie de monter sur scène pour esquisser quelques pas de danse auprès de leur idole. Oumou Sangaré, amusée par cette manifestation amicale de respect et de reconnaissance sincère de son talent, a même pris la pose pour un ou deux selfies un bref instant. Toujours animée par un désir de justice, de paix et d’égalité, Oumou Sangaré n’a pas hésité à appeler à un « cessez le feu » alors que de nombreux conflits déséquilibrent la géopolitique internationale. Comme elle le clame souvent : « Les guerres s’achèvent toujours par des négociations autour d’une table. Pourquoi ne pas parlementer avant le déclenchement des hostilités ? ». Ce message fut entendu et salué par de vifs applaudissements. La musique porte parfois des discours qu’il faut savoir écouter. L’émotion que nous ressentons est le signe d’une vérité, d’un engagement, d’une approbation, que cette grande dame cherche à éveiller en nous. Ce fut le cas au Théâtre antique de Vienne, le 29 juin 2024.

    ► Festival Jazz à Vienne.

  • Depuis Spirit of Ntu, son premier album paru sur le label « Blue Note Africa », Nduduzo Makhathini jouit d’une notoriété réelle qui l’autorise à promouvoir une approche musicale enracinée dans les traditions sud-africaines. Ses aînés, Abdullah Ibrahim, Bheki Mseleku, Zim Ngqawana, lui ont transmis un enseignement de l’art qui irrigue aujourd’hui son inspiration débridée. Rencontré lors de sa prestation à Coutances en Normandie, le 10 mai 2024, Nduduzo Makhathini a fait appel à notre ouverture d’esprit.

    « Unomkhubulwane » est le nom de la déesse de la pluie dans les croyances sud-africaines. C’est aussi le titre du nouvel album de Nduduzo Makhathini. Ce brillant pianiste aux incantations ensorcelantes cherche à trouver l’harmonie et l’équilibre spirituel à travers sa musique. Ce vœu de plénitude est sincère et certainement dicté par une enfance malmenée durant le régime d’apartheid. Lorsqu’il voit le jour en 1982, la violence sociale et la ségrégation raciale sont toujours d’actualité. Croître et s’épanouir dans de telles conditions est impossible à moins de se réfugier dans un art qui vous offre une part d’évasion. « Notre force, c’est le rythme. Le rythme dit qui nous sommes. C’est aussi ce qui définit l’univers autour de nous. Tout n’est que rythme. Le flux et le reflux des marées, c’est le rythme. Tout ce que nous vivons repose sur un rythme bien précis. La musique peut être vue comme l’addition de tous les rythmes que nous percevons. C’est le rythme du corps et de l’âme. En Afrique du Sud, nous avons un terme précis pour définir ce rythme si particulier. Nous l’appelons « Ingoma ». Ce terme spécifique renvoie aux divinités que nous célébrons à travers des chansons, des danses, des connaissances liturgiques. Tout cela pour vous dire que, sur le continent africain, la spiritualité est indissociable du son et du rythme. Nos répertoires sont toujours interprétés durant des cérémonies, des rituels sacrés. La musique, chez nous, ne peut pas s’exprimer en dehors d’un contexte spirituel. Le jazz a en lui cette part de spiritualité que les Africains lui ont transmis en traversant l’Atlantique. C’était une manière pour eux de conserver la mémoire de leurs ancêtres. Les esclaves étaient très éloignés géographiquement de leur terre natale mais parvenait spirituellement à préserver leur appartenance identitaire africaine ». (Nduduzo Makhathini au micro de Joe Farmer)

    Les prestations de Nduduzo Makhathini sont des instants de méditation jazz qui vous emportent dans un tourbillon d’improvisation échevelée. Comme pour ses aînés africains ou américains, son inspiration du moment décide de son interprétation. Certains définiront ces démonstrations de virtuosité comme l’expression d’une maestria éprouvée. D’autres s’en remettront à leur foi en une divinité ou un esprit bienfaiteur. Qu’importe les raisons pour lesquelles les grands instrumentistes atteignent parfois le sommet de leur art. S’abandonner à une créativité spontanée demande, certes, de la pratique mais aussi une bonne dose de confiance en soi. « J’essaye de vivre une forme d’utopie qui me détache de la réalité quotidienne. Le pianiste Sun Râ disait souvent que l’espace cosmique était son espace d’expression. C’était sa manière de transcender son statut d’être humain et d’en appeler à la spiritualité pour affronter la violence d’une époque. Il ne voulait pas se limiter à une vie terrestre mais aspirer à une vie spirituelle. Mon maître, Behki Mseleku, réfléchissait ainsi également. C’est d’ailleurs lui qui m’a fait connaître les œuvres de John Coltrane. J’ai alors compris que, face à l’adversité de notre quotidien, il faut prendre de la hauteur. Nous avons tous oublié que nous sommes des êtres liés par notre humanité. Nous avons donc une mémoire collective partagée. Notre humanité devrait donc apprendre à dépasser les problèmes de racisme, les discussions stériles sur la couleur de peau, les longs débats sur les différences culturelles, sur les différences de langage, etc. Attardons-nous plutôt sur nos émotions et notre ressenti. Quand une personne va mal, vous le ressentez immédiatement quelle que soit sa langue, sa culture ou sa couleur de peau. C’est votre humanité qui s’exprime. Nous avons trop longtemps oublié de faire appel à nos sens et à notre intuition. Les sons, les notes, les rythmes, en d’autres mots, la musique revitalise nos sens de manière instinctive. La musique réveille nos sens. C’est la raison pour laquelle je considère que la musique peut apporter la paix dans le monde ». (Nduduzo Makhathini sur RFI)

    Nduduzo Makhathini a délivré un message limpide lors du 43ème festival « Jazz sous les Pommiers ». Ses prières pianistiques ont touché les spectateurs et les ont peut-être interrogés sur leurs propres convictions et comportements quotidiens. La musique a ce pouvoir…

    ► Nduduzo Makhathini chez Blue Note Records.

  • Le 10 mai 2024, le festival « Jazz sous les pommiers » accueillait un spectacle audacieux à la mémoire du chanteur et poète français, Claude Nougaro, disparu il y a 20 ans. Cet hommage ambitieux réunissait un aréopage d’artistes téméraires autour d’un répertoire périlleux. Le pianiste et compositeur Ray Lema, l’un des convives de cet intrépide concert mémoriel nommé « New Garo », fut un contemporain de Claude Nougaro, personnage haut en couleurs dont l’exigeante maîtrise verbale et l’implacable rigueur rythmique ne souffrent aucune contestation. Il nous raconte sa complicité avec cette grande figure de la chanson française gorgée de notes afro-planétaires.

    Nul n’ignore l’intérêt prononcé de Claude Nougaro pour les rythmes échappés des traditions ancestrales. Nombre de ses succès furent inspirés par des classiques du jazz américain ou de la bossa nova brésilienne. Pour s’en convaincre, il suffit de citer « Le jazz et la java » judicieusement emprunté à Dave Brubeck ou « Bidonville » malicieusement puisé dans le répertoire de Baden Powell et Vinicius de Moraes. Ce ne sont là que quelques exemples saillants d’une réécriture révérencieuse par un authentique amoureux des sources sonores originelles. Comme Claude Nougaro, Ray Lema fait partie de ces âmes sensibles respectueux des idiomes patrimoniaux. Leur rencontre ne pouvait que sceller une camaraderie dictée par la beauté de l’art et, en l’occurrence, par la force expressive de la musique. Leur passion respective pour les terroirs internationaux facilita leur compréhension mutuelle.

    Ray Lema reconnaît volontiers que les premiers pas vers une collaboration fructueuse furent d’abord semés d’embûches. Claude Nougaro avait un caractère entier et un tempérament de feu qui, dans la défiance comme dans la confiance, s’affirmaient dans un excès de sentiments contraires. Échanger librement avec un personnage aussi flamboyant et imprévisible était un gage de connivence sincère. Ray Lema parvint à dompter le fauve et lui composa même une merveilleuse mélodie intitulée « C’est une Garonne ». Ce titre, paru en 1993 sur l’album Chansongs, devint un classique du chanteur toulousain et Ray Lema le revitalisa en 2007 sur son disque Paradox. Il ne pouvait pas, non plus, manquer l’occasion de réinterpréter cette œuvre sur scène lors du concert à Coutances en Normandie. Il s’autorisa même une relecture de « Bidonville » en compagnie de la jeune Gabi Hartmann.

    La voix de Claude Nougaro résonne toujours dans notre oreille et il est souvent délicat de restituer la musicalité d’une icône regrettée. Les mots cadencés de cet acrobate du verbe sont le premier défi à relever lorsque l’intention louable de l’hommage s’impose. Ray Lema n’a jamais minimisé cet exercice de diction métronomique. Il sait combien il est impératif de rendre justice aux rythmes irrésistibles et aux locutions choisies de son auguste partenaire d’hier.

    Les prochaines représentations de « New Garo », imposant spectacle dirigé par le guitariste, bassiste et chef d’orchestre, Fred Pallem, auront lieu à Vienne le 7 juillet, Arles le 12 juillet, et Marciac le 27 juillet 2024.

    ► New'Garo, hommage à Claude Nougaro sur Arte TV.

  • Née en Caroline du Nord, nourrie de Gospel et de Soul-Music, Michelle David vit depuis plusieurs années aux Pays-Bas où sa route a croisé celle de furieux musiciens néerlandais tout aussi investis dans la culture afro-américaine. Cette merveilleuse interprète habitée par une redoutable ferveur continue de nous émouvoir, de nous mobiliser, de nous interroger. « Brothers & Sisters » est une nouvelle manifestation de son intention fraternelle à laquelle nul ne peut résister.

    Bien avant d’évoluer avec son groupe actuel, les « True Tones », Michelle David s’était produite dans de nombreux spectacles de Broadway, à New York. Elle participa à la comédie musicale « Mahalia » en hommage à son aînée, la très regrettée Mahalia Jackson. Elle s’illustra également dans « The Sound of Motown » et « The Glory of Gospel » mais elle se révéla véritablement en Europe lorsqu’elle fit paraître ses propres albums. Depuis 10 ans, la tonalité musicale de son répertoire et la sensibilité de sa voix puissante façonnent une authenticité sonore qui identifie immédiatement son univers sonore. Certes, l’écho lointain des années 60 résonnent parfois dans les intonations et les arrangements de ses comparses mais cela n’altère en rien la modernité de l’intention artistique. Somme toute, revitaliser un idiome qui accompagna autrefois les grandes luttes sociales afro-américaines n’est pas honteux et reste finalement tout à fait d’actualité.

    Michelle David est d’ailleurs très attentive à l’évolution du monde en ce début de XXIè siècle. Elle constate que les dissensions résistent, que les confrontations se multiplient mais elle veut croire en la solidarité naturelle que nous avons tous en nous. Plus positive que jamais, elle est la première à se convaincre que regarder vers l’avenir avec confiance est un gage d’espoir et de réussite. Il ne faut pas abandonner au moindre échec, au moindre obstacle. Il faut croire en soi et défier l’inéluctable. C’est, en quelque sorte, le vœu de ce nouvel album pétri de bonnes résolutions. Il y aura toujours d’éternels rochons bien déterminés à décourager les âmes vaillantes, à critiquer les initiatives et à démobiliser les troupes. Michelle David veut justement les contredire, prouver que l’union fait la force et que la volonté personnelle règle bien des confits. Alors, elle chante de tout son être pour que le ciel s’éclaircisse.

    Sa mélodieuse poésie vaut mille discours, semble-t-elle asséner. Il est vrai que ses homologues ont souvent réussi à exprimer leurs idéaux sans emphase. La sincérité des grandes voix d’antan suffisait à apaiser les esprits. Pour autant, Michelle David n’est pas naïve. Oui, « Brothers & Sisters » est un appel à la concorde mais aussi une mise en garde. Ne nous laissons pas gagner par la passivité, agissons pour que notre destin nous ressemble. Voilà le souhait de cette artiste attachante concernée par son époque et bien décidée à défendre des valeurs humanistes.

    ► Le site de Michelle David and The True Tones.

  • Au début des années 80, le pianiste américain Darius Brubeck, fils du célèbre compositeur Dave Brubeck, se met en tête de lancer un programme de jazz universitaire en Afrique du Sud. L’apartheid est un obstacle majeur mais la détermination humaniste de cet homme de cœur va devancer le cours de l’histoire. Le documentariste néerlandais Michiel Ten Kleij narre cette épopée musicale unique dans son film « Playing the changes ».

    Curieusement, les destinées de Dave Brubeck et de son fils, Darius, se croisent et se rejoignent. L’un et l’autre ont participé à un effort d’ouverture culturelle porteur d’espoir et inscrit dans l’histoire. Lorsqu’en 1958, le compositeur et pianiste Dave Brubeck se produit en Pologne, les vestiges géopolitiques des années de guerre mondiale ont renforcé l’ambivalence Est-Ouest. Pourtant, sa prestation insufflera un esprit de liberté dans un pays encore rétif au modèle démocratique occidental. Lors du premier concert de cette tournée inédite, Darius Brubeck n’avait que 10 ans et observait son père sur scène délivrant en musique un message de tolérance et de partage. Cette image resta longtemps gravée dans sa mémoire à tel point que, des décennies plus tard, il ressentit ce même besoin d’encourager l’échange et la concorde en imaginant un programme universitaire jazz en Afrique du Sud. Certes, le contexte était différent mais l’intention était la même et le résultat fut tout aussi probant. La musique nourrissait l’unité et la fraternité.

    Ainsi, en 1983, en plein apartheid, Darius Brubeck et sa femme Catherine imaginent réunir, sous la bannière du jazz, des musiciens désireux de jouer ensemble. La couleur de peau importe peu tant que l’envie de communiquer et d’apprendre est sincère. Il va de soi que les autorités ségrégationnistes d’alors virent d’un très mauvais œil cette initiative mais Darius Brubeck trouva une parade imparable à cette périlleuse situation : « Ma tactique était très simple. J’ignorais les règles imposées par les autorités. Je faisais croire que je ne connaissais pas les lois en vigueur. Alors oui, il y eut des protestations parfois violentes initiées, disons-le, par les autorités de l’époque, sous couvert de maintien de l’ordre. Les manifestants, la plupart du temps, marchaient pacifiquement pour obtenir gain de cause. Donc, au tout départ de notre engagement, la principale difficulté était de pouvoir faire répéter des musiciens noirs dans la formation jazz que nous voulions créer. Je dois reconnaître que ma première tentative de faire jouer un orchestre sur un campus universitaire a été immédiatement interdite par la police. Cependant, je n’étais pas dans l’œil du viseur. Ce furent davantage les musiciens blancs et noirs de l’orchestre qui ont subi l’intimidation des autorités, ainsi que le public composé de spectateurs de toutes origines. En d’autres mots, nous avions franchi la ligne jaune. Je trouvais cela ridicule car toute l’énergie déployée par les autorités d’alors pour interdire les relations entre Blancs et Noirs s’est finalement fracassée sur l’évolution des mœurs, le sens de l’histoire et l’élection de Nelson Mandela en 1994 » (Darius Brubeck au micro de Joe Farmer).

    Finalement, le swing des « Jazzanians », scintillant Big Band envisagé par Darius et Catherine Brubeck, parvint à défier les pressions politiques. Un album fut même enregistré dont la récente réédition témoigne de la réelle vigueur. Cette aventure humaine fait aujourd’hui l’objet d’un film, « Playing the changes », présenté en avant-première le 8 avril 2024 à Paris lors du festival « L’Europe autour de l’Europe ». De nouvelles projections sont annoncées en Afrique du Sud, le 22 juin à Johannesburg et le 27 juin 2024 à Cape Town. D’autres séances sont envisagées fin août 2024 à Durban. Michiel Ten Kleij, réalisateur du documentaire, ne peut que se féliciter de l’accueil du public après des années de labeur intense : « Rien ne m’avait préparé à la puissance des témoignages que j’ai recueillis en Afrique du Sud. En interviewant Darius Brubeck, sa femme Catherine et les musiciens qu’ils ont soutenus, j’ai pris conscience du quotidien de tous ces gens et combien le système éducatif était inégalitaire. J’ai compris que l’apartheid était un régime qui n’opprimait pas seulement au niveau institutionnel mais, de manière plus insidieuse, à travers la culture, à travers les ondes radio, etc… On m’a raconté tant d’histoires sur le quotidien des Sud-Africains que j’ai eu le sentiment de les vivre sur le moment. J’ai beaucoup appris durant cette expérience. J’avais tant de choses à découvrir. Pas seulement l’histoire de Darius en Afrique du Sud mais aussi l’histoire de l’apartheid dans son ensemble. Quant au nom « Brubeck », je ne peux pas dire que cela m’a intimidé. Darius est un homme si accueillant et généreux que l’on en oublie qu’il s’appelle Brubeck et que son héritage patrimonial est imposant. Ce n’est qu’au moment du montage du film que j’ai pris conscience de son aura et de sa notoriété. En l’écoutant se raconter, en sélectionnant les images d’archives dans lesquelles on le voit gamin à côté de son père ou en compagnie de Miles Davis, on se dit : « Bon sang ! Il a tout de même rencontré Miles Davis ! ». Ça en impose ! Donc, le montage du film m’a révélé, d’une certaine manière, qui était Darius Brubeck » (Michiel Ten Kleij sur RFI).

    60 ans après la prestation de son père en Pologne, Darius Brubeck est retourné donner des concerts sur place. Le temps avait passé mais le message de paix avait résisté. Un album en public, The Darius Brubeck Quartet - Live in Poland, témoigne de ce moment de vive émotion. Notez que cet orchestre se produira le 12 août 2024 à Cormeilles, en Normandie, dans le cadre du festival « Les Musicales en Pays d’Auge ».

    ► Le site Les Musicales de Cormeilles-en-Pays-d'Auge.

  • Du 4 au 11 mai 2024, le festival « Jazz sous les Pommiers » à Coutances en Normandie offrait à des artistes inspirés et engagés l’occasion de manifester leurs intimes convictions devant un public curieux et attentif. Le rappeur afro-américain Napoleon Maddox laissait sa cadence poétique jaillir pour célébrer Toussaint Louverture, figure essentielle de l’histoire haïtienne.

    Ce n’est pas la première fois que ce fervent défenseur des cultures afro-planétaires revitalise l’esprit frondeur de ses aînés. Au début des années 2010, il s’était déjà longuement intéressé à la figure majeure de la contestation sociale outre-Atlantique, l’illustre et regrettée Nina Simone. Napoleon Maddox est un artiste vigilant qui observe son XXIè siècle avec un œil critique et le commente sans ambages. Son discours véhément et ses prises de position tranchées font mouche et suscitent l’intérêt de ses contemporains. Le saxophoniste Archie Shepp, redoutable porte-parole de la communauté noire à l’échelle internationale, s’était pris d’affection jadis pour ce jeune homme capable de s’enthousiasmer indifféremment pour le free jazz débridé de Roland Kirk et l’audacieuse insoumission de Public Enemy.

    Certainement plus aguerri, Napoleon Maddox continue de nourrir sa quête de sens de projets artistiques proches de ses aspirations. En compagnie de son partenaire Léo Dufour alias Sorg, il braque aujourd’hui les projecteurs sur Haïti, terre de confrontations, de résistance, de fierté afro-caribéenne. « Louverture de Toussaint », présenté le 9 mai 2024 à Coutances, est un spectacle pétri de valeurs humanistes que la rébellion populaire créole revendique depuis des décennies. La présence du saxophoniste Jowee Omicil sur scène, lors de cette vibrante prestation, donnait encore plus de crédit à cette évocation haletante.

    « Vous savez, avant de me plonger dans ce projet, j’avais certes conscience que Toussaint Louverture était un personnage important de l’histoire haïtienne mais je réalise aujourd’hui, après avoir approfondi mes recherches, que son action entre définitivement dans le terrible combat pour l’égalité et les droits civiques des peuples opprimés dans le monde entier. Toutes ces luttes sont intimement liées. Tout ce qu’il a pu dire, sa stratégie politique, son talent oratoire, ont fait de lui un personnage universel. Pour moi, il était un diplomate, un homme réfléchi, un penseur, un philosophe. Quand vous étudiez son histoire, vous pouvez aisément faire le lien avec la démarche de désobéissance civile de Martin Luther King, avec l’intention jusqu’au-boutiste de Malcolm X ou avec l’activisme du mouvement « Black Lives Matter ». Toutes ces formes de contestation se rejoignent ». (Napoleon Maddox au micro de Joe Farmer)

    Napoleon Maddox a visiblement acquis des connaissances historiques en se plongeant dans « L’épopée » haïtienne. L’album Louverture de Toussaint pourrait aisément susciter une réflexion pédagogique tant cette œuvre musicale interroge.

    « Nous posons des questions plus que nous y répondons. Nous faisons des hypothèses. Que se serait-il passé si tel événement avait eu lieu ? Voilà le genre d’interrogations qui nous anime. Nous avons donc écrit des chansons et conçu ce spectacle à partir de questionnements. C’est un exercice plutôt ludique et fort plaisant. Je connaissais quelques bribes de son histoire mais rien, en comparaison, de ce que j’ai appris depuis que je me suis lancé dans ce projet. Voilà encore une bonne raison de ne pas avoir eu une approche pédagogique car le premier étudiant, c’était moi ! Si je devais présenter Toussaint Louverture, je dirais que ce personnage représente ce que chacun de nous peut créer en suivant ses rêves. Cet homme a d’abord été un esclave, puis il a été l’ardent défenseur et stratège de la première république indépendante issue d’un héritage africain. Sans oublier toutes les différentes étapes de sa vie qui ont conduit à cet événement historique majeur. Il s’est élevé contre tous les obstacles qui se dressaient face à son rêve de liberté. Voilà ce que fut Toussaint Louverture à mes yeux ». (Napoleon Maddox sur RFI)

    Très présents sur les scènes françaises ce printemps 2024, Napoleon Maddox et Sorg devraient poursuivre sans effort, durant l’été, cette aventure patrimoniale militante tant le message de résilience active face aux réflexes racistes reste tristement d’actualité. Rendez-vous, par exemple, le 28 juin 2024 au festival « Rencontres et Racines » à Audincourt et le 28 juillet à Metabief dans le cadre du 22ème « Festival de la Paille ».

    ► Facebook de Napoleon Maddox.

  • Le 24 mai 1974, il y a 50 ans, disparaissait l’un des plus importants compositeurs afro-américains du XXè siècle. Duke Ellington avait insufflé une exigence artistique unique qui hissa la communauté noire au sommet de la respectabilité à une époque où l’inégalité était tristement la norme. Le 11 mai 2024, le festival « Jazz sous les Pommiers » présentait à Coutances en Normandie, le « Future of Jazz Big Band ». Cette vivifiante formation célébrait alors l’entente franco-américaine, à l’approche du 80è anniversaire du Débarquement, en proposant un programme entièrement consacré au répertoire du célèbre pianiste et chef d’orchestre. Nos micros ont capté cet événement de taille.

    2024 est l’année « Duke Ellington ». Cette grande figure de « L’épopée des Musiques Noires » vit le jour en 1899, il y a 125 ans, et continue de susciter un engouement certain, auprès de tous les amateurs de swing trépidant, un demi-siècle après sa mort. Au-delà de la musicalité intemporelle de son œuvre, c’est le discours universaliste de cette icône incontestable qui fascine toujours aujourd’hui. Bien que son quotidien fut celui d’un homme noir dans une Amérique raciste, son propos et son attitude restèrent constamment dignes et intègres. C’est d’ailleurs ainsi que ses héritiers perçoivent son legs moral et artistique.

    Joe Block fait partie de ces farouches défenseurs du patrimoine Ellingtonien. À 25 ans, il peut s’enorgueillir de connaître sur le bout des doigts les compositions de son illustre aîné. À la tête du « Future of Jazz Big Band », initié par le Lincoln Center de New York, il promeut la diplomatie musicale de son maître en dirigeant des musiciens rompus à l’art de l’improvisation libre et inspirée. « La musique de Duke Ellington reflète la vie, notre humanité, l’amour que nous avons en chacun de nous, la culture afro-américaine, c’est tout cela Duke Ellington. C’est une musique qui swingue, qui groove, que l’on peut fredonner, qui a une qualité rythmique irrésistible, qui laisse beaucoup d’espace aux musiciens pour s’exprimer, ce n’est pas une musique complexe, les couleurs sonores sont bien distinctes comme si vous regardiez un tableau. Et, surtout, il y avait au sein de son orchestre de véritables personnalités qui ont su imprimer leur individualité. Duke Ellington composait sa musique en pensant aux musiciens qui allaient l’interpréter. Il imaginait tel ou tel soliste pour telle ou telle composition. Il cherchait le son ultime pour chacune de ses mélodies. C’est ce que j’appellerais « les couleurs » de son orchestre. Il y avait toujours une texture sonore identifiable créée par les solistes qu’il mettait en avant ». (Joe Block au micro de Joe Farmer)

    La rencontre de jeunes musiciens français et américains à Coutances en Normandie avait une valeur symbolique indéniable mais donnait aussi du crédit au message humaniste porté par le regretté Duke Ellington. Sa musique devait susciter la concorde entre les citoyens du monde. Elle devait unir plutôt que diviser. Elle devait encourager l’écoute, l’échange et le partage. C’est ce que les festivaliers ont pu constater en applaudissant chaleureusement ces 15 musiciens d’origines diverses unis par un langage commun, le swing ! Domo Branch, le batteur de l’orchestre, avait d’ailleurs la lourde responsabilité d’imprimer ce tempo irrésistible lors de ce concert empreint d’une vigoureuse nostalgie. « Son répertoire a été joué à des périodes tragiques de l’histoire internationale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la population trouvait du réconfort en écoutant sa musique. Elle vous faisait danser. Elle invitait à la romance. Duke Ellington provoquait toutes ces sensations à travers sa musique, comme Thad Jones, Count Basie, Benny Goodman ou Woody Herman. Tous ces gens voulaient créer l’unité entre les peuples de la planète. Comme l’a dit notre chef d’orchestre Joe Block, la musique de Duke Ellington n’est pas seulement le reflet d’une époque, c’est d’abord une intention universaliste. Je le répète, ce répertoire-là est, certes, la bande-son des années de guerre mais il est parvenu à transcender ce drame planétaire et s’adresse à tout le monde aujourd’hui. Je n’étais pas né à cette époque mais j’imagine aisément mes aïeux danser sur cette musique vivifiante et réconfortante. Ce devait être la même chose en France… Alors oui, les compositions de Duke Ellington étaient un écho de la situation des Noirs aux États-Unis mais elles étaient aussi destinées à rassembler plutôt qu’à diviser. De toute façon, où que nous soyons sur cette terre, nous traversons des moments difficiles et la musique de Duke Ellington est là pour apaiser nos consciences. Je pense que le jazz fait appel à notre spiritualité. Cette unité que le jazz provoque entre les peuples provient justement de cette spiritualité. Le jazz appelle à la paix au niveau international. Il guérit nos maux. Après une longue journée, il peut vous arriver d’être exténué mais, si vous faites l’effort de venir assister à un concert de jazz, vous retrouverez instantanément l’énergie qu’il vous manque. Et peut-être vous ferez-vous de nouveaux amis sur place ? » (Domo Branch sur RFI).

    Duke Ellington nous a quittés, il y a 50 ans, mais son message a résisté à l’érosion du temps. Sa majestueuse discographie est un enseignement musical d’envergure. L’album Far East Suite, par exemple, est une belle illustration de cette ouverture d’esprit qui inspire toujours aujourd’hui les âmes sensibles.

    ► Jazz sous les Pommiers : Hommage à Duke Ellington.

  • Le pianiste José Privat, pilier du groupe Malavoi, a fait paraître en avril 2024 un album lumineux qui le réconcilie avec son instrument de prédilection, l’orgue Hammond B3. Entouré de la fine fleur du jazz caribéen, notamment son fils Gregory, le virtuose martiniquais dévoile Clin d’œil, un disque malicieux qui réinvente le swing antillais avec goût et sensibilité. Gregory Privat et José Privat sont nos invités pour une conversation familiale portée par la transmission du patrimoine.

    L’expérience et l’audace sont souvent les marqueurs d’une maturité incontestable. José Privat s’est joyeusement laissé bousculer par la fraîcheur et la ferveur de virtuoses antillais dont les noms redessinent les contours de notre paysage musical actuel. Ralph Lavital (guitare), Elvin Bironien (basse) et Tilo Bertholo (batterie) sont des instrumentistes de grand talent qui virevoltent avec grâce sur les compositions de leur illustre aîné. Tricia Evy, chanteuse émérite, dépose également sa délicatesse harmonique sur un titre fort mélodieux (Toujou la) de cet album attachant.

    Gregory Privat tient évidemment un rôle prépondérant. Outre son lien filial, il veille à la bonne tenue de cette production d’envergure en assurant la direction artistique et en s’autorisant quelques interventions senties aux côtés de son père. Couronné, en 2024, d’un prix Django Reinhardt décerné par l’Académie du jazz pour son propre album, Phœnix, Gregory Privat est un pianiste inventif, toujours à l’affût de nouveautés. Entendre ce dialogue familial mérite nos deux oreilles. Leur swing est peut-être différent mais la fusion de leur idiome respectif fait mouche. Les acclamations du public sauront certainement savourer cette myriade de notes choisies.

    Certes, les échos de Jimmy Smith, de Wild Bill Davis ou de Bill Doggett teintent notre écoute d’une douce nostalgie mais ils n’altèrent pourtant pas la modernité de cette musique jubilatoire. Ces quelques références inscrivent simplement José Privat dans la tradition des grands organistes de notre temps. Il est d’ailleurs naturel de découvrir une allusion au regretté Eddy Louiss, maître incontesté de l’orgue Hammond disparu en 2015, auquel José Privat fait un clin d’œil sur le titre « Hello Louiss ». Après un demi-siècle de musique, José Privat doit, de toutes façons, assumer l’impérieuse nécessité de perpétuer l’identité caribéenne en exposant un répertoire et une tonalité spécifique au plus grand nombre. S’agit-il d’une revendication ? C’est en tout cas un engagement.

    Le 18 mai 2024, le Sunset-Sunside scintillera de mille couleurs quand José Privat et ses musiciens fouleront cette scène parisienne historique pour délivrer un message multiculturel pertinent, comme un clin d’œil à notre désir de concorde nationale.

    ► José Privat Quartet & special guest Gregory Privat au Sunset-Sunside.

  • Le Togo All Stars est une formation de 10 musiciens bien déterminés à revitaliser l’esprit de leurs ancêtres en actualisant leurs racines culturelles. À mi-chemin entre highlife ghanéen et de l’afrobeat nigérian, la musicalité de cet orchestre vigoureux fait jaillir des notes cuivrées furieusement funk. Spirits, le dernier album de ces fougueux instrumentistes, est une ode aux traditions séculaires africaines.

    Préserver un patrimoine et le transmettre aux générations futures est une exigence pour les détenteurs du savoir. Si le Togo All Stars ne cesse de régénérer la vigueur de sa musicalité en accueillant de jeunes instrumentistes et interprètes en son sein, le rôle des anciens est primordial. Dos Melio Kofi Cudjoe, alias Aguey, est le patriarche de cette joyeuse troupe qui promeut le partage, l’écoute et la tolérance. Contemporain de Fela Anikulapo Kuti, il sait mener ses acolytes et les guider sur le chemin de l’épanouissement artistique avec le renfort non négligeable de Léopold Messan Ekue, manager du groupe et directeur artistique, qui aime se présenter comme un « fédérateur d’énergies ».

    Cette ambition n’est pas vaine car le Togo All Stars parvient à susciter un réel intérêt au-delà des frontières africaines. Actuellement en tournée en Europe, ces brillants trublions sont acclamés à chacune de leurs prestations. La virtuosité du guitariste Kodjovi Steed Amoussou fait mouche, les prouesses vocales de Dodji Alice Buckner et ses pas de danse inspirés impressionnent. Et ce ne sont que quelques exemples des talents affirmés qui composent ce combo rutilant. Femi Kuti ne s’y est pas trompé en accueillant ces sympathiques agitateurs au Shrine, le club historique de son père, Fela Anikulapo Kuti, à Lagos au Nigeria. Il a alors découvert cette sonorité togolaise qui évoque l’afrobeat sans pour autant la singer. L’identité du Togo All Stars est authentique et s’installe dans notre paysage sonore actuel.

    La force expressive de la musique ne doit cependant pas éluder le discours. Chaque composition délivre un message humaniste et bienveillant. Afidemanyo, par exemple, rappelle que l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs et, en filigrane, met en garde les candidats à l’exil face au risque d’un trop grand et hasardeux voyage. Zon Kédé est une autre chanson pleine de bon sens. Comme le dit un vieux dicton : « Pour aller vite, on va seul. Pour aller loin, on va ensemble ». Cet appel à une union créatrice de projets est un élan positif qui suscitera peut-être des vocations parmi les nouveaux admirateurs du Togo All Stars.

    ► Togo All Stars (dates de concerts)

  • Jean-Jacques Milteau est un harmoniciste bien connu des amateurs de blues français, mais il serait injuste de réduire son aventure artistique à cette simple définition musicale. Depuis 50 ans, son souffle enthousiaste et inspiré l’a conduit sur les routes du monde au contact de créateurs et d’artisans enracinés dans leurs traditions. Key to the Highway est l’expression de son attachement aux patrimoines culturels originels.

    La Folk-Music, la Country-Music, la Soul-Music font partie d’un univers sonore que Jean-Jacques Milteau chérit depuis des décennies et qu’il mâtine à loisir. 2024 n’est donc qu’une nouvelle étape de son aventure au cœur des musiques populaires américaines et sûrement pas un bilan. L’épopée des Musiques Noires évolue constamment et Jean-Jacques Milteau suit son mouvement. Peu nostalgique, ce brillant instrumentiste préfère concevoir des projets plutôt que se retourner sur son passé. Certes, sa prestigieuse destinée en compagnie de grandes figures de notre temps invite à ouvrir le grand livre de l’histoire et à s’émerveiller devant des photos jaunies par le temps. Depuis le milieu des années 70, la musicalité sensible qu’il a su insuffler à son harmonica l’a hissé au rang des virtuoses que furent Little Walter, Slim Harpo, Junior Wells ou Sonny Terry.

    Lorsqu’il découvre les États-Unis à l’âge de 20 ans, il n’imagine pas que ce périple va décider de son avenir dans un monde artistique palpitant. Et pourtant, la culture américaine va le fasciner et nourrir son goût pour les idiomes mélodiques entendus outre-Atlantique. Lorsqu’en 1977, un certain Eddy Mitchell le convie à le rejoindre sur scène, l’occasion d’éprouver ses talents de jeune harmoniciste est trop belle. Leur collaboration durera 10 ans et suscitera d’autres opportunités. Claude Nougaro, Michel Jonasz, Jacques Higelin, notamment, sauront donner de l’éclat à leur répertoire en sollicitant la vigueur harmonique de Jean-Jacques Milteau. Être un accompagnateur est gratifiant mais développer ses propres projets est une étape essentielle pour tout créateur.

    Bien qu’il fit paraître quelques frétillants enregistrements personnels tout au long des années 70, 80 et 90, ce n’est qu’au tournant du XXIè siècle que son aura lui offre enfin la reconnaissance unanime à travers une « Victoire de la Musique » pour son album Memphis réalisé en compagnie de quelques sommités de blues américain, Mighty Mo Rodgers, Mighty Sam McClain et Little Milton. Ce sera le point de départ d’une nouvelle vie discographique animée par son indéfectible passion pour la sève des musiques populaires afro-américaines. Dès lors, chaque album accueillera une personnalité reconnue pour son apport certain au vocabulaire blues. Gil Scott Heron, Terry Callier, Ron Smith, Eric Bibb, seront ainsi les invités de Jean-Jacques Milteau durant les années 2000.

    « Jay Jay », comme l’appellent désormais ses comparses anglo-saxons, a donné une couleur et une visibilité à son langage musical. Son dernier album en date, Key to the highway, est le fruit savoureux de cette quête insatiable à la source de son inspiration. Une fois encore, les convives se pressent pour donner du corps, de la profondeur et une âme à cette proposition enracinée dans la matrice américaine. Est-ce un album anniversaire ? Peut-être… La présence des chanteurs Michael Robinson, Harrison Kennedy, Carlton Moody et Mike Andersen semble le confirmer.

    Nul doute que les célébrations de ce demi-siècle de musique ininterrompue seront vivaces et frissonnantes le 21 mai 2024 au New Morning à Paris !

    ► Le site de Jean-Jacques Milteau.