Avsnitt

  • Longtemps prĂ©sentĂ© comme un fabuleux interprĂšte du rĂ©pertoire pop-funk, le chanteur amĂ©ricain Al Jarreau reconnaissait volontiers avoir une passion pour les harmonies vocales jazz et les compositions des grands instrumentistes swing. À la fin de sa vie, il rĂ©alisa l’un de ses rĂȘves : revitaliser les Ɠuvres du grand Duke Ellington devant un imposant Big Band. L’écho sonore de ces concerts Ă©mouvants paraĂźt sur le label Act Records. Ses anciens colistiers, tĂ©moins et acteurs de ses ultimes prestations, nous content cette Ă©popĂ©e majestueuse.

    Durant l’annĂ©e 2016, quelques mois avant sa disparition, Al Jarreau remonta une derniĂšre fois sur scĂšne en compagnie d’une grande formation cuivrĂ©e, le NDR Big Band de Hambourg, lors d’une tournĂ©e europĂ©enne haletante. Ce fut le dernier acte d’une Ă©popĂ©e majestueuse qui dĂ©buta dans les annĂ©es 60 au sein des « Indigos », un groupe vocal formĂ© par des Ă©tudiants de l’UniversitĂ© de Ripon dans le Wisconsin. Son goĂ»t pour le jazz se dĂ©veloppa Ă  cette Ă©poque et il n’était pas rare de l’entendre jouer avec les intonations de ses aĂźnĂ©s. Ainsi, derriĂšre ses cĂ©lĂšbres acrobaties mĂ©lodiques que de nombreux admirateurs ont acclamĂ©es durant 50 ans, il y avait un artiste respectueux du patrimoine ancestral.

    Joe Turano, pianiste, saxophoniste, directeur musical de l’orchestre d’Al Jarreau pendant 17 ans, a eu le loisir d’observer son ami et partenaire sur scĂšne et en studio. « Il Ă©tait d’abord un interprĂšte dont la richesse vocale et la sensibilitĂ© artistique dĂ©jouaient toutes les catĂ©gories musicales. La libertĂ© d’expression que lui offrait le jazz apparaissait systĂ©matiquement dans tous ses enregistrements, quel que soit le style. D’ailleurs, il Ă©tait difficile de dĂ©finir son identitĂ© musicale car il ne cessait de nous surprendre. Son sens de l’improvisation jaillissait constamment dans sa voix. Par consĂ©quent, si l’on veut le dĂ©crire comme un chanteur de jazz, il faut d’abord comprendre que son expressivitĂ© reposait sur la spontanĂ©itĂ© et l’improvisation, et ce fut le cas tout au long de sa vie. Sa voix Ă©tait le reflet de sa personnalitĂ©, de son esprit vif, de sa flexibilitĂ© artistique. Il Ă©tait capable de reproduire les sons qu’il entendait autour de lui, les sons d’un instrument de musique, les sons de la nature, etc. Sa voix Ă©tait si merveilleusement Ă©lastique qu’il pouvait chanter la plus simple mĂ©lodie et lui donner une richesse harmonique remarquable, pleine d’émotion. À d’autres moments, il pouvait se laisser aller Ă  quelques audaces vocales et entrer dans un monde sonore qui lui appartenait totalement. » (Joe Turano au micro de Joe Farmer)

    En 2016, Al Jarreau a 76 ans. Il a conscience que cette tournĂ©e pourrait ĂȘtre la derniĂšre. Alors, il redouble d’efforts pour que cette cĂ©lĂ©bration des grands classiques de Duke Ellington soit somptueuse et digne. Il prend plaisir Ă  jouer avec les circonvolutions jazz du NDR Big Band qui l’accompagne chaque soir. Il chante avec joie et ferveur. Il semble heureux et serein. Joe Gordon fut le manager d’Al Jarreau pendant 27 ans. Son regard sur ces derniers rendez-vous avec le public europĂ©en est plus nuancĂ© : « J'ai deux souvenirs trĂšs prĂ©cis de cette tournĂ©e. D'abord, c’est la joie d’Al Jarreau d’ĂȘtre sur scĂšne tous les jours en compagnie de ce grand orchestre, le NDR Big Band. Et, mĂȘme lorsqu’il n’était pas sur scĂšne avec ces musiciens, il prenait plaisir Ă  passer du temps avec eux dans les hĂŽtels ou dans le bus qui nous emmenait de ville en ville. Quand tous ces instrumentistes lui rendaient visite, il Ă©tait Ă©galement comblĂ©. Ce partage et cette complicitĂ© allaient dans les deux sens. Que ce soit au petit dĂ©jeuner ou Ă  l’issue des concerts, il Ă©tait enchantĂ© de converser avec ces admirables musiciens. L’autre souvenir, un peu plus Ă©mouvant, c’était sa condition physique. À ce moment prĂ©cis de son existence, il avait de plus en plus de difficultĂ©s Ă  se dĂ©placer et faisait souvent appel Ă  nous pour le conduire jusqu’à la scĂšne. Une fois installĂ© devant le public, il retrouvait le sourire. Mes souvenirs sont donc assez contradictoires. L’un est heureux car je le voyais s’épanouir sur scĂšne. L’autre est plus Ă©mouvant car je sentais que la maladie le rattrapait. Je ne sais pas si le public avait conscience de tout cela. Pour lui, c’était une joie intense d’ĂȘtre sur scĂšne, mais aussi un dĂ©fi d’aller au bout de cette aventure. » (Joe Gordon sur RFI, dĂ©cembre 2024)

    En cette fin d’annĂ©e 2024, deux albums posthumes ravivent la voix unique d’Al Jarreau. L’un fut enregistrĂ© Ă  l’aube d’une brillante carriĂšre, l’autre au crĂ©puscule de sa flamboyante destinĂ©e. Le premier nous ramĂšne aux prĂ©mices de sa notoriĂ©tĂ© lorsqu’en aoĂ»t 1976, Ă  Washington, son concert intime au Childe Harold Jazz Club rĂ©vĂ©la sa maestria. Le second restitue ses derniers instants de bonheur intense alors qu’il s’octroie le luxe de chanter les standards de Duke Ellington devant un rutilant orchestre jazz. Deux Ă©tapes majeures d’une lumineuse Ă©popĂ©e qui a accompagnĂ© notre quotidien pendant un demi-siĂšcle.

    â–ș Site internet consacrĂ© Ă  Al Jarreau.

  • Lorsqu’il fit paraĂźtre son premier disque sous son nom, il y a 25 ans, le chanteur et guitariste amĂ©ricain Raul Midon fit immĂ©diatement sensation. Sa virtuositĂ© vocale comme instrumentale surprit ses premiers auditeurs et cette facultĂ© Ă  dĂ©fier les catĂ©gories musicales le hissa rapidement au sommet de la gloire. Son nouvel album, Lost and Found, enfonce le clou en jouant avec les accents Soul, Folk, Jazz que son ouverture d’esprit accueille avec sensibilitĂ©.

    C’est en Ă©coutant les mots de son aĂźnĂ©, Bob Dylan, que Raul Midon eut l’idĂ©e de concevoir la chanson-titre de son nouveau disque. Lost and Found est, en effet, inspirĂ© de l’esprit narratif du cĂ©lĂšbre poĂšte folk amĂ©ricain. Raul Midon avait dĂ©jĂ  en lui ce talent de conteur qui se voit aujourd’hui magnifiĂ© par son Ă©clectisme mĂ©lodieux. « Il y a quelques annĂ©es, un ami m’avait confiĂ© une cassette sur laquelle il avait enregistrĂ© un poĂšme dĂ©clamĂ© par Bob Dylan lors d’un de ses concerts. Il s’agissait de « Last thoughts on Woody Guthrie ». Les mots de Dylan Ă©taient si puissants, merveilleux et sensibles, que j’ai imaginĂ© cette chanson en essayant de restituer les rimes de ce poĂšme fantastique. J’ai compris une chose en Ă©coutant les vers de Bob Dylan, c’est que la poĂ©sie crĂ©e des images dans votre esprit. La poĂ©sie articule les mots de telle maniĂšre qu’elle suscite une reprĂ©sentation visuelle dans votre tĂȘte. Le message de cette chanson est universel. J’essaye de dire que lorsque tout espoir est perdu, il faut malgrĂ© tout persĂ©vĂ©rer car, d’une maniĂšre ou d’une autre, vous parviendrez Ă  atteindre votre but. Certes, les choses ne se produiront peut-ĂȘtre pas telles que vous les auriez imaginĂ©es mais vous parviendrez Ă  concrĂ©tiser vos projets. C’est la raison pour laquelle j’ai intitulĂ© cette chanson « Lost and Found ». « Perdre espoir et retrouver espoir ». (Raul Midon au micro de Joe Farmer)

    Les prouesses stylistiques de Raul Midon ont souvent Ă©patĂ© ses contemporains. VĂ©ritable homme-orchestre, son sens innĂ© de l’interprĂ©tation et de la composition l’a hissĂ© au rang des meilleurs instrumentistes de notre temps. Il n’est donc pas Ă©tonnant que ses homologues le sollicitent rĂ©guliĂšrement pour apparaĂźtre sur scĂšne Ă  leurs cĂŽtĂ©s. En 2010, le bassiste Marcus Miller fut enchantĂ© de le convier Ă  participer Ă  son concert Ă  l’opĂ©ra de Monaco. Plus rĂ©cemment, le collectif « Black Lives – From Generation to Generation » s’enthousiasmait de le compter parmi les dĂ©fenseurs d’une Ă©galitĂ© sociale universelle. Le concert de Cully en Suisse, en avril 2024, fut un moment de mobilisation citoyenne nĂ©cessaire. « On ne peut pas nier qu’il y ait une forme d’activisme dans la musique que nous produisons. Il est d’ailleurs essentiel que cet aspect des choses soit perceptible pour l’auditeur. Et, pour ĂȘtre honnĂȘte, je suis assez déçu par le manque d’engagement de certains artistes de nos jours. Quand on pense Ă  « What’s going on » de Marvin Gaye, « Revolution » chantĂ©e par les Beatles, quand on pense aux textes de Gil Scott Heron, ces gens s’exprimaient sur la situation sociale de leur Ă©poque. Certes, je ne suis pas le plus grand rebelle dans mon expressivitĂ© artistique mais il faut que l’on dĂ©nonce, Ă  travers nos Ɠuvres et nos choix artistiques, les dĂ©rives racistes du monde actuel. Sur cette planĂšte, si vous avez la peau noire, vous ĂȘtes instantanĂ©ment considĂ©rĂ© comme un ĂȘtre infĂ©rieur. C'est un fait incontestable. Le collectif de musiciens « Black lives » et le mouvement « Black Lives Matter » ont eu raison d’alerter l’opinion en disant : « Nous existons ! Nous ne sommes pas des citoyens de seconde classe ! ». (Raul Midon sur RFI)

    Assister Ă  un concert de Raul Midon est toujours un moment de plaisir intense, mais peut Ă©galement susciter la rĂ©flexion. Écouter les paroles de ses chansons invite, parfois, Ă  un examen de conscience utile. Raul Midon est, certes, un artiste exceptionnel mais aussi un homme simple qui, comme nous tous, s’interroge sur sa destinĂ©e et ses choix personnels. Sa cĂ©citĂ© l’a poussĂ© Ă  se dĂ©passer. Pour autant, il ne veut pas ĂȘtre perçu comme un ĂȘtre plus sensible que le commun des mortels. Avoir un grand cƓur est une qualitĂ© humaine qui ne dĂ©pend pas d’un statut social ou d’une condition physique. « La seule diffĂ©rence pour un aveugle, c’est l’obligation d’ĂȘtre le meilleur dans sa discipline car son handicap est son premier obstacle. Au-delĂ  de ça, que l’on soit voyant ou non voyant ne change rien Ă  votre sensibilitĂ©. Je ne pense pas qu’un aveugle perçoive diffĂ©remment les vibrations d’une musique. Les musiciens aveugles ressentent, commentent et s’expriment, sur la rĂ©alitĂ© du monde avec la mĂȘme acuitĂ© que n’importe quel ĂȘtre humain sur cette planĂšte ». (Raul Midon, dĂ©cembre 2024)

    Nul doute que les vibrations et Ă©motions que vous ressentirez Ă  l’écoute de Lost and Found lĂ©gitimeront le discours toujours pertinent de ce multi-instrumentiste attachant.

    ⇒ Le site de Raul Midon.

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  • Depuis sa disparition en aoĂ»t 2018, la chanteuse Aretha Franklin n’a jamais rĂ©ellement cessĂ© d’occuper nos esprits. Films biographiques, documentaires, rĂ©Ă©ditions, l’industrie de la musique ne manque pas une occasion de commĂ©morer cette artiste unique. Un nouveau livre vient parfaire notre connaissance de son Ă©popĂ©e tumultueuse. FrĂ©dĂ©ric Adrian, dĂ©jĂ  auteur d’ouvrages consacrĂ©s Ă  Otis Redding, Marvin Gaye, Ray Charles, Stevie Wonder et Nina Simone, se penche sur les gloires et les dĂ©boires d’une icĂŽne incontestable.

    Fort documentĂ©, ce nouveau rĂ©cit ne prend pas position. L’auteur se contente de suivre pas Ă  pas les diffĂ©rentes Ă©tapes d’une destinĂ©e unique en veillant Ă  restituer avec le plus d‘authenticitĂ© possible les faits tels qu’ils se sont dĂ©roulĂ©s. C’est ainsi que l’on assiste Ă  l’évolution progressive d’une gamine dĂ©jĂ  trĂšs douĂ©e, chaperonnĂ©e par la flamboyance d’un pĂšre pasteur dont le mode de vie libertarien contraste avec ses obligations clĂ©ricales. Au fil des pages, la volontĂ© d’indĂ©pendance de la jeune Aretha Franklin s’affirme. Certes, les premiĂšres annĂ©es sont davantage tournĂ©es vers un jazz soyeux que sa voix magnifie avec grĂące et affirmation mais bientĂŽt sa rĂ©elle identitĂ©, pĂ©trie de Soul et de Gospel, jaillit dans les enregistrements pour le label Atlantic.

    AprĂšs avoir rĂ©vĂ©lĂ© une tessiture Ă©lastique dans les studios Columbia au dĂ©but des annĂ©es 60, c’est bien Ă  la fin de cette mĂȘme dĂ©cennie que son ascension se confirme. Aretha Franklin devient une reine de l’art vocal et multiplie les succĂšs grĂące Ă  ses prouesses mĂ©lodiques et une ribambelle de classiques parfaitement adaptĂ©s Ă  son immense talent. « Respect », « Chain of Fools », « Natural Woman », « Say a Little Prayer », entreront dans le patrimoine populaire amĂ©ricaine. Aretha Franklin inscrira alors son nom dans « L’épopĂ©e des Musiques Noires ». Ses prestations scĂ©niques seront tout aussi percutantes, notamment au Fillmore West de San Francisco en 1971 ou dans la Missionary Baptist Church de Los Angeles en 1972, lors d’une cĂ©lĂ©bration pleine de ferveur du rĂ©pertoire sacrĂ©.

    Ce dĂ©sir d’abandon spirituel a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© l’exutoire dont son Ăąme sensible avait indubitablement besoin pour Ă©chapper au poids de la notoriĂ©tĂ©. Aretha Franklin n’était pas facile Ă  vivre. Ses frasques, exigences et caprices rĂ©vĂ©laient certainement un mal-ĂȘtre que FrĂ©dĂ©ric Adrian tente de circonscrire dans son ouvrage. Lorsqu’elle quitte Atlantic Records pour Arista Records, elle est une personnalitĂ© majeure de l’AmĂ©rique noire, citoyenne engagĂ©e, artiste respectĂ©e, mais une femme tourmentĂ©e par les soubresauts de sa vie personnelle. Elle veut impĂ©rativement rester dans l’air du temps. Alors, avec plus ou moins de maĂźtrise ou de clairvoyance, elle s’acoquine avec les interprĂštes en vogue. Ici avec Annie Lennox, lĂ  avec George Michael. SĂ©duire un nouveau public devient son obsession mais Aretha Franklin se perdra, parfois, dans des productions clinquantes que sa voix seule ne permettra pas toujours d’illuminer. Au crĂ©puscule d’une aventure humaine trĂ©pidante, elle se plaisait Ă  affirmer avec un brin d’insolence que sa seule hĂ©ritiĂšre serait : « Aretha » elle-mĂȘme !

    « Aretha Franklin », la biographie de Frédéric Adrian est disponible aux éditions Le Mot et Le Reste.

    - Éditions Le Mot et le Reste : le livre «Aretha Franklin» de FrĂ©dĂ©ric Adrian

    - Le site Aretha Franklin.

  • Aux cĂŽtĂ©s de Louis Armstrong, Count Basie ou Ella Fitzgerald, Eddie « Lockjaw » Davis a Ă©tĂ© un accompagnateur fougueux dont la sensibilitĂ© jazz au saxophone continue d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©e au XXIĂš siĂšcle. Son homologue, James Carter, se plaĂźt Ă  interprĂ©ter ses Ɠuvres depuis quelques mois sur les scĂšnes internationales. Le 23 octobre 2024, il rendait hommage Ă  son aĂźnĂ© lors du festival « Jazz en TĂȘte » Ă  Clermont-Ferrand.

    James Carter accorde beaucoup d’importance Ă  la prĂ©servation du patrimoine. Dans le passĂ©, il s’était dĂ©jĂ  intĂ©ressĂ© aux rĂ©pertoires de ses aĂźnĂ©s. Ses hommages Ă  Django Reinhardt et Ă  Billie Holiday avaient fait sensation et l’avaient hissĂ© au rang des grands instrumentistes de notre temps. Depuis qu’il a acceptĂ© le rĂŽle informel de conseiller culturel du « Minton’s Playhouse », un historique club de New York oĂč se produisirent les plus grands noms du jazz, il s’est mis en tĂȘte de cĂ©lĂ©brer l’un de ses mentors, le regrettĂ© Eddie Lockjaw Davis, qu’il croisa furtivement en 1985. Il a, depuis cette date, conservĂ© dans l’oreille l’ñpretĂ© dĂ©licieuse de ce swinguant virtuose qu’il veut honorer en lui dĂ©diant un album. Faire vivre, au XXIĂš siĂšcle, les Ɠuvres d’autrefois en les actualisant est une maniĂšre de transmettre un savoir aux gĂ©nĂ©rations futures. James Carter en est convaincu !

    « Je pense que le fait de m’appliquer Ă  jouer ces rĂ©pertoires m’impose de raconter une Ă©popĂ©e et, d’une certaine maniĂšre, de m’improviser « historien ». Il faut sans cesse rappeler que nos aĂźnĂ©s nous ont transmis un hĂ©ritage toujours vivace aujourd’hui. Il est trĂšs important, Ă  mes yeux, de rĂ©pĂ©ter cela indĂ©finiment. Il faut leur rendre justice. Trop souvent, leurs noms disparaissent dans les oubliettes de l’histoire. On ne peut pas se contenter de quelques traces discographiques succinctes alors que le patrimoine de nos aĂźnĂ©s est si imposant. Si les jeunes aujourd’hui n’ont pas la possibilitĂ© de dĂ©couvrir par eux-mĂȘmes le jazz d’hier, il faut que nous les incitions Ă  s’y intĂ©resser. Quand nous parlons de nos souvenirs de l’histoire du jazz, les jeunes ont le rĂ©flexe quasi-instantanĂ© d’aller sur Internet et de regarder sur YouTube les vidĂ©os des artistes que nous Ă©voquons. De mon temps, il fallait qu’une opportunitĂ© se prĂ©sente pour que nous puissions assister Ă  la projection d’archives sur grand Ă©cran. Nous n’avions pas immĂ©diatement accĂšs aux archives des grands noms du jazz. Il fallait attendre que le cinĂ©ma du quartier propose une projection spĂ©cifiquement consacrĂ©e Ă  nos hĂ©ros d’antan. Quand j’étais gamin, il fallait espĂ©rer tomber au hasard sur un programme jazz Ă  la tĂ©lĂ©vision. Et c’était trĂšs rare ! Aujourd'hui, il suffit de faire une requĂȘte sur Internet et vous pouvez voir tout ce que vous voulez ! Je pense que la jeune gĂ©nĂ©ration n'a pas conscience du privilĂšge qui est le sien. Pour nous, regarder une vidĂ©o d’un jazzman historique Ă©tait unique. Il faut s'assurer que ce moment de la dĂ©couverte reste un Ă©vĂ©nement et ne soit pas banal aux yeux des jeunes spectateurs. (James Carter au micro de Joe Farmer)

    James Carter a 55 ans. Il sait qu’il est au milieu du chemin qui le mĂšnera Ă  la respectabilitĂ©. Ses modĂšles ont suivi le mĂȘme parcours, ont tĂątonnĂ©, ont hĂ©sitĂ©, se sont interrogĂ©s et ont finalement brillĂ©. Ses homologues saxophonistes lui ont donnĂ© des clĂ©s de comprĂ©hension qu’il doit choyer et perpĂ©tuer.

    « Pour que les jeunes s’intĂ©ressent au patrimoine et se mettent autour d’une table pour en discuter, il faut donner de sa personne. C’est un enjeu essentiel. Il faut, au moins, leur dire que certaines personnalitĂ©s ont existĂ©. Libres Ă  eux de relier les diffĂ©rents Ă©pisodes de ma narration en allant chercher, par eux-mĂȘmes, d’autres documents. C’est ainsi que naĂźt la curiositĂ©. En les plongeant progressivement dans une quĂȘte personnelle, leur individualitĂ© se dĂ©veloppera plus vite. Si certains d’entre eux envisagent de devenir musiciens, ils auront une identitĂ© artistique plus forte et solide. Ils comprendront ce que signifie : « se transcender ». Ils pourront plus facilement s’adresser au plus grand nombre. Ce n’est pas qu’une question de style musical. C’est un mode de vie, une attitude, l’expression d’un sentiment profond. Parfois, vous avez le blues, Ă  un autre moment, vous ĂȘtes enthousiaste. Il faut savoir interprĂ©ter ces Ă©motions et c’est ce que nous ont transmis nos aĂźnĂ©s. Il ne faut pas hĂ©siter Ă  ĂȘtre soi-mĂȘme et Ă  inciter la jeune gĂ©nĂ©ration Ă  s’exprimer librement. La musique est justement un trĂšs bon vecteur d’affirmation personnelle ». (James Carter sur RFI)

    Le prochain album de James Carter sera enregistrĂ© au « Minton’s Playhouse » oĂč, nous l’a-t-il assurĂ©, il compte raviver l’esprit de son hĂ©ros, Eddie « Lockjaw » Davis. Il nous donne rendez-vous en 2025 pour dĂ©couvrir cette prestation nĂ©cessairement rĂ©vĂ©rencieuse.

    â–ș Le site de James Carter.

  • Le XXIĂš siĂšcle voit le jaillissement crĂ©atif de nouveaux musiciens et interprĂštes dont la hardiesse n’émousse pas un profond respect pour la tradition. Lors du 37Ăš festival « Jazz en TĂȘte » Ă  Clermont-Ferrand, le jeune pianiste amĂ©ricain Sean Mason a dĂ©montrĂ© que la vigueur de son jeu pouvait aisĂ©ment Ă©pouser celle de ses aĂźnĂ©s.

    Originaire du sud des États-Unis, Sean Mason parvient Ă  restituer l’humeur ancestrale de sa terre natale en jouant avec les tonalitĂ©s de son temps. Il n’a pas 30 ans mais, dĂ©jĂ , s’affirme comme un virtuose. Ses diffĂ©rents projets discographiques illustrent son dĂ©sir farouche de conjuguer inventivitĂ© joviale et interprĂ©tation patrimoniale. Son dernier album en date, « The Southern Suite », est une ode Ă  la Caroline du Nord qui l’a vu naĂźtre. « À travers cet album, j’essaie de restituer les Ă©motions que j’éprouvais, gamin, dans le sud des États-Unis. Il s’agissait de sentiments positifs Ă  l’époque. Je veux que ma musique soit Ă©galement positive. Ce furent des moments heureux mĂȘme si l’image que l’on a du Sud est plutĂŽt rude. En tout cas, le souvenir que j’ai de mon enfance dans cette rĂ©gion ne correspond pas aux stĂ©rĂ©otypes colportĂ©s depuis des dĂ©cennies. HonnĂȘtement, il s’agit certainement de l’endroit le plus authentique que je connaisse aux États-Unis. Je voulais, prĂ©cisĂ©ment, reflĂ©ter cet aspect des choses dans mon album. Il est Ă©vident qu’il y eut des moments difficiles dans le sud des États-Unis autrefois, il y avait beaucoup de racisme, et Ă  certains endroits bien spĂ©cifiques, la sĂ©grĂ©gation existe toujours mais il y a un esprit communautaire qui subsiste, une forme de solidaritĂ© que je trouve rassurante et authentique ». (Sean Mason au micro de Joe Farmer)

    Sean Mason a, ces derniers mois, multipliĂ© les expĂ©riences artistiques. Avec la poĂ©tesse Mahogany L. Brown, il a attestĂ© qu’un message social mis en musique pouvait susciter une rĂ©flexion positive. Avec la chanteuse Catherine Russell, il a insistĂ© sur l’intemporalitĂ© d’un rĂ©pertoire historique. Une fois de plus, son esprit vif a Ă©clairĂ© les contrastes. Lors de sa prestation, le 22 octobre 2024, en ouverture du 37Ăš festival « Jazz en TĂȘte », Sean Mason a fait l’unanimitĂ©. Ses prouesses techniques, sa science harmonique et mĂ©lodique, son toupet d’improvisateur innĂ©, sont des signes audibles d’une maestria en pleine Ă©volution. Ce jeune homme s’épanouit avec grĂące dans un univers sonore qui, pour lui, n’a pas de limites. « HonnĂȘtement, un prĂ©lude de Bach et une Ɠuvre de Louis Armstrong sont, Ă  mes yeux, aussi importants l’un que l’autre. Pour moi, ils atteignent des niveaux d’excellence que je ne veux pas comparer. Je suis d’ailleurs enchantĂ© d’avoir la possibilitĂ© de comprendre ces vocabulaires musicaux diffĂ©rents et de prendre autant de plaisir en les Ă©coutant qu’en les interprĂ©tant. Je comprends parfaitement ce que voulait dire Ahmad Jamal lorsqu’il parlait de « musique classique amĂ©ricaine ». Le jazz est la musique classique amĂ©ricaine. Je partage ce besoin d’élever l’art Ă  un niveau d’excellence que les musiciens classiques parviennent Ă  atteindre. Ce qui m’importe le plus, c’est que nous soyons tous d’accord sur la dĂ©finition que nous donnons aux musiques que nous Ă©coutons ». (Sean Mason, 22 octobre 2024)

    Sean Mason devrait trĂšs rapidement briller dans la lumiĂšre des projecteurs car son nom vient d’ĂȘtre retenu pour figurer dans le palmarĂšs des Grammy Awards 2025. Suspense


    â–ș Le site de Sean Mason.

    Les programmateurs du festival « Jazz en TĂȘte » ont d’ailleurs le nez creux puisqu’une autre Ă©toile Ă  l’affiche de l’édition 2024 se voit Ă©galement nominĂ©e pour la prochaine cĂ©rĂ©monie des Grammys. Elle s’appelle Christie Dashiell. Cette jeune chanteuse africaine-amĂ©ricaine s’est illustrĂ©e dans le collectif « Black Lives – From Generation to Generation » dont elle partage avec sincĂ©ritĂ© l’intention et le vƓu de concorde universelle. Elle aussi est une artiste respectueuse du patrimoine lĂ©guĂ© par ses aĂŻeux qu’elle salue Ă  sa façon en dĂ©veloppant une tessiture vocale pĂ©trie de rĂ©fĂ©rences musicales Ă©chappĂ©es de « L’épopĂ©e des Musiques Noires ».

    À Clermont-Ferrand, le 24 octobre 2024, elle prĂ©sentait pour la premiĂšre fois en France son nouvel album Journey in Black. Ce disque palpitant rĂ©vĂšle un engagement artistique et citoyen certain. Christie Dashiell vit au XXIĂš siĂšcle et a conscience que les enjeux de sa gĂ©nĂ©ration mĂ©ritent d’ĂȘtre exposĂ©s. Pour cela, il faut dialoguer, communiquer, confronter les idĂ©es. Un vrai dĂ©fi quand le repli sur soi est devenu la norme. « Il est trĂšs aisĂ© aujourd'hui de s’isoler, notamment, quand les rĂ©seaux sociaux occupent tout notre temps et notre esprit. Nous avons tendance Ă  ne plus chercher le contact avec nos contemporains mĂȘme si nous sommes surinformĂ©s. Cela peut crĂ©er de la discorde car nous interprĂ©tons souvent maladroitement ce que nous lisons de maniĂšre partielle. Par consĂ©quent, je fais l’effort d’aller Ă  la rencontre du public pour constater qu’il est toujours composĂ© d’ĂȘtres humains et, parfois, il arrive mĂȘme que nous ayons les mĂȘmes convictions, les mĂȘmes espoirs. Rien que cela peut changer l’atmosphĂšre qui rĂšgne autour de vous. Le simple fait de regarder les yeux de votre interlocuteur, d’entendre le son de sa voix, peut susciter la conversation ». (Christie Dashiell sur RFI)

    Le cheminement artistique de Christie Dashiell lui permet de virevolter entre les diffĂ©rents accents de « L’épopĂ©e des Musiques Noires ». Jazz, Soul, Gospel, elle ne veut pas choisir car elle est tout cela Ă  la fois. Sa force expressive seule dĂ©joue les catĂ©gories. Elle est une interprĂšte inspirĂ©e qui a charmĂ© les spectateurs du festival « Jazz en TĂȘte ». Son ouverture d’esprit et sa gĂ©nĂ©rositĂ© naturelle nourrissent son indĂ©niable talent. À nous de savoir le saisir Ă  chacune de ses prestations. « Chanter et composer le rĂ©pertoire de cet album m’a permis de voir le monde diffĂ©remment. Cela m’a permis de voyager et c’est un excellent moyen de se confronter aux rĂ©alitĂ©s de cette planĂšte. Je pense donc que le second volet de cet album « Journey in Black » me permettra d’avoir une acuitĂ© encore plus fine du monde qui m’entoure ». (Christie Dashiell, le 24 octobre 2024)

    Christie Dashiell se produira avec le collectif « Black Lives - From Generation to Generation », le 22 novembre à Gand en Belgique, le 23 novembre à Cenon en France et le 24 novembre 2024 à Limoges en France.

    â–ș Le site de Christie Dashiell.

  • Disparu le 3 novembre 2024 Ă  l’ñge de 91 ans, Quincy Jones sera, Ă  tout jamais, associĂ© Ă  son travail d’orfĂšvre aux cĂŽtĂ©s de Michael Jackson. Mais que retiendra-t-on de ses autres faits d’armes ? Connaissons-nous vraiment son travail d’arrangeur, de compositeur et de chef d’orchestre ?

    Son statut de jeune soliste Ă  la trompette dans l’orchestre du vibraphoniste Lionel Hampton, au dĂ©but des annĂ©es 1950, lui a ouvert l’esprit et a nourri son goĂ»t pour l’improvisation car, pour ĂȘtre un musicien de jazz Ă©clairĂ©, il ne faut pas hĂ©siter Ă  jouer avec les diffĂ©rents accents des musiques populaires. Quincy Jones le comprit trĂšs vite et s’amusa toute sa vie Ă  tordre les conventions pour inventer son propre univers sonore, exigeant et Ă©clectique. « Tout n'est qu'une question de libertĂ©. Le jazz c'est la libertĂ©. Quand j'Ă©tais jeune, des gens comme Clark Terry, Benny Carter ou Ray Charles, m'ont vĂ©ritablement Ă©paulĂ©, et il est de mon devoir aujourd'hui de faire de mĂȘme avec la jeune gĂ©nĂ©ration. Elle reprĂ©sente l'avenir. Avec dĂ©licatesse et sensibilitĂ©, tous ces jeunes transmettront Ă  leur tour le message du jazz. Ray Charles a Ă©tĂ© le premier Ă  me donner un petit coup de pouce. Il m'a mĂȘme appris Ă  lire la musique en braille. N'oubliez pas qu'il n'est devenu aveugle qu'Ă  l'Ăąge de six ans. Il savait donc Ă  quoi ressemblait une partition. Quand j'Ă©voluais dans l'orchestre de Lionel Hampton, je cĂŽtoyais lĂ  aussi d'excellents musiciens, je pense Ă  Clifford Brown, Art Farmer, Benny Bailey, Jimmy Cleveland. C'Ă©tait un orchestre qui faisait danser les gens. Lionel Hampton et Louis Jordan ont crĂ©Ă© ce que l'on appelait le rhythm and blues dont la communautĂ© blanche s'est emparĂ©e pour crĂ©er le rock'n'roll ». (Quincy Jones au micro de Joe Farmer)

    De ses premiers pas d’interprĂšte dans les grandes formations swing d’antan Ă  ses exploits de producteur inspirĂ© aux cĂŽtĂ©s des principales figures de la pop, du funk, de la soul-music ou du rap, Quincy Jones a vĂ©cu intensĂ©ment sa passion artistique avec ce regard et ce sourire malicieux qui semblaient dĂ©fier ses dĂ©tracteurs. L’AmĂ©rique raciste lui avait appris la dĂ©fiance et la mĂ©fiance. Pour se faire respecter, il devait devenir incontournable. L’avait-il voulu ? Sa force de caractĂšre a-t-elle accĂ©lĂ©rĂ© son ascension ? Son flair fut-il son meilleur atout ? Difficile de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment le moteur de son hyperactivitĂ© crĂ©ative. Il faut croire que son application Ă  rĂ©aliser avec soin les meilleurs enregistrements porta ses fruits et contribua Ă  Ă©crire sa glorieuse histoire. Dans sa mĂ©moire vive, s’entrechoquaient des images, des sons, des rencontres, des conversations, des anecdotes et des dates plus marquantes les unes que les autres, comme ce 8 juillet 1991 lorsqu’il invita son ami Miles Davis Ă  rĂ©interprĂ©ter ses Ɠuvres d’antan sur la scĂšne du Montreux Jazz Festival en Suisse. « C'Ă©tait quelque chose de voir Miles Davis Ă  65 ans se dĂ©battre avec une musique qu'il n'avait pas jouĂ©e depuis l'Ăąge de 25 ans. J'avais assistĂ© Ă  la session d'enregistrement originel. Il avait enregistrĂ© coup sur coup « Kind of Blue » et « Miles Ahead » avec Gil Evans dans les studios Columbia de la 30Ăšme rue Ă  New York. Je revois encore John Coltrane et Cannonball Adderley dĂ©couvrant les partitions de « Kind of Blue ». Quelque 60 ans plus tard, ces albums sont devenus des classiques et, honnĂȘtement, on n'a pas fait mieux depuis. Lors du concert Ă  Montreux, c'est la premiĂšre fois que je voyais Miles Davis sourire au public. Habituellement, il tournait le dos aux spectateurs mais cette fois-lĂ  il Ă©tait heureux et j'Ă©tais enchantĂ© de lui avoir apportĂ© cette joie ». (Quincy Jones sur RFI – Juillet 2017)

    Cette gĂ©nĂ©rositĂ© de cƓur, ce besoin viscĂ©ral de porter des projets ambitieux, parfois pĂ©rilleux, cette Ă©coute attentive pour le talent de ses contemporains, qu’ils soient aguerris ou balbutiants, cette attitude finalement altruiste, toutes ces valeurs humaines l’ont hissĂ© au firmament des personnalitĂ©s universelles. Quincy Jones fut tout simplement unique !

    â–ș Quincy Jones sur Qwest TV.

  • Christophe Ylla-Somers s’est plongĂ© dans l’histoire tortueuse de la communautĂ© africaine-amĂ©ricaine de 1619 Ă  nos jours. Il constate dans son livre, « Le Son de la RĂ©volte », que le nouveau monde ne fut jamais la terre d’égalitĂ©, de justice et de dĂ©mocratie, prĂŽnĂ©e par les premiers colons europĂ©ens. Les États-Unis se sont construits sur un dĂ©sĂ©quilibre social patent que les arts ont souvent dĂ©noncĂ©. Alors que l’élection du 5 novembre 2024 attise les tensions outre-Atlantique, nous explorons en musique quatre siĂšcles de rĂ©bellion et de contestation.

    DĂšs l’instauration du commerce triangulaire, la vie des Africains expatriĂ©s contre leur grĂ© vers des territoires inconnus devint un calvaire innommable. Les traditions et coutumes ancestrales rĂ©sistĂšrent cependant Ă  l’oppression, aux brimades et humiliations de toutes sortes. Cette empreinte identitaire s’exprima dans des chants de complainte Ă©mouvants dont la teneur de plus en plus protestataire traversa les siĂšcles. Le poĂšte et dramaturge Amiri Baraka rĂ©pĂ©tait sans cesse ce simple constat : « À partir du moment oĂč nous avons embarquĂ© sur ces bateaux, nous avons commencĂ© Ă  chanter ! Quelle que soit la forme d’expression, le message a toujours Ă©tĂ© le mĂȘme : « Laissez-moi sortir ! Laissez-moi tranquille ! Cessez de vouloir transformer ma vie ! ». Avant mĂȘme que nous ne soyons en contact avec les AmĂ©ricains, nous chantions dĂ©jĂ  le dĂ©sespoir, dans le dialecte local, puis dans un langage afro-amĂ©ricain. Depuis toujours, nous chantons la contestation. Comment voulez-vous que nous ayons des paroles positives ? Quand on vous pourrit la vie depuis des lustres, comment ĂȘtre optimiste et voir les choses du bon cĂŽtĂ© ? On ne sait pas ce qu’est le bonheur ! Quand votre existence, c’est l’esclavage, vous ne dĂ©cidez pas de protester, vous protestez instinctivement ». (Amiri Baraka au micro de Joe Farmer – RFI - FĂ©vrier 2004)

    Dans les spirituals ou dans le blues, dans le rĂ©pertoire sacrĂ© ou dans les mĂ©lodies profanes, le besoin de trouver le rĂ©confort est omniprĂ©sent. Cette aspiration Ă  une libertĂ© pleine et entiĂšre se fracasse pourtant souvent sur une rĂ©alitĂ© plus Ăąpre et violente qui conduit irrĂ©mĂ©diablement les victimes d’injustices Ă  se rebeller. Si l’appel Ă  une rĂ©sistance passive du pasteur Martin Luther King reste dans les mĂ©moires, ce sont davantage les Ɠuvres militantes qui rĂ©sonnent aujourd’hui avec force dans « L’épopĂ©e des Musiques Noires ». Le manifeste du batteur Max Roach, « We Insist ! Freedom Now Suite », est devenu un marqueur de la fronde artistique des jazzmen en 1960. Le pamphlet du bluesman J.B Lenoir, « Alabama Blues », en 1963 est lui aussi redoutablement efficace. Le brĂ»lot de Nina Simone, « Mississippi Goddam », en 1964 s’inscrit Ă©galement dans le tumulte des annĂ©es de lutte. DĂ©cennies aprĂšs dĂ©cennies, l’activisme musical s’est transformĂ© et les prises de positions tranchĂ©es ont accompagnĂ© les Ă©volutions stylistiques des instrumentistes africains-amĂ©ricains.

    « Le Son de la RĂ©volte » constate avec acuitĂ© l’impossibilitĂ© de faire valoir son statut de citoyen amĂ©ricain quand la couleur de peau interdit l’égalitĂ© des chances. Il subsiste alors la revendication permanente que les arts peuvent porter. Les prĂȘches harmonieux des cantiques religieux, comme la poĂ©sie cadencĂ©e de rappeurs dĂ©terminĂ©s, traduisent la mĂȘme frustration et le mĂȘme dĂ©sir d’ĂȘtre respectĂ©. Lorsque Sam Cooke chantait « A change is gonna come », quel avenir envisageait-il ? Les tourments de son Ă©poque ont-ils changĂ© la donne ? La politique amĂ©ricaine a-t-elle tirĂ© les leçons du mouvement des droits civiques, de la poussĂ©e de fiĂšvre « Black Lives Matter » ? L’examen de conscience est-il possible outre-Atlantique ? Les musiciens ont-ils la clĂ© de cette Ă©nigme ? Ces interrogations lĂ©gitimes rythment notre lecture avide de cet ouvrage riche et fort documentĂ© paru aux Ă©ditions « Le Mot et Le Reste ».

    â–ș «Le Son de la RĂ©volte», Ă©ditions Le Mot et le Reste.

  • De longue date, les Ă©changes transatlantiques entre musiciens africains et amĂ©ricains ont nourri l’histoire du blues. Dans le passĂ©, Ry Cooder et Ali Farka TourĂ©, Eric Bibb et Habib KoitĂ©, Taj Mahal et Bassekou KouyatĂ©, Mighty Mo Rodgers et Baba Sissoko, ont appris Ă  dialoguer et ont suscitĂ© un esprit de partage et de tolĂ©rance. Le Trio Soba Ă©pouse, Ă  son tour, cet Ă©lan de gĂ©nĂ©rositĂ© collĂ©giale Ă  travers un album vibrant intitulĂ© Fiman.

    Moussa Koita (guitare), Vincent Bucher (harmonica) et Émile Biayenda (percussions) ont, tous trois, une identitĂ© culturelle spĂ©cifique mais ils partagent une vision commune du blues. Ils savent que cette forme d’expression nĂ©e aux États-Unis prend sa source sur le continent africain. La traite nĂ©griĂšre a projetĂ©, au fil des siĂšcles, des coutumes, des rythmes, des traditions, des danses jusqu’aux AmĂ©riques. Ce pont transatlantique invisible a permis, souvent dans la douleur, de maintenir un lien intercontinental que le blues prĂ©serve et perpĂ©tue. L’histoire de Soba s’inscrit dans cette longue Ă©volution stylistique mais se distingue par ses protagonistes. Si ces trois brillants instrumentistes jouent le blues avec ferveur, ce n’est pas seulement la lĂ©gende amĂ©ricaine qui les anime mais leurs Ă©changes complices sur scĂšne et hors de scĂšne.

    Que l’on soit BurkinabĂš, Français ou Congolais, le partage et l’enthousiasme permettent toutes les audaces. C’est ce qu’ont rapidement compris nos trois virtuoses qui ne relisent pas l’épopĂ©e amĂ©ricaine du blues mais inventent un autre rĂ©cit proche de leur quotidien, de leur rĂ©alitĂ©, de leur prĂ©sent. Chaque titre de l’album Fiman Ă©voque les enjeux de notre XXIĂš siĂšcle. Il peut arriver que certains sujets Ă©voquĂ©s rejoignent les prĂ©occupations des anciens bluesmen africains-amĂ©ricains mais, au-delĂ  de l’humeur musicale, l’intention narrative est tout autre. Le trio Soba parle des dĂ©fis d’aujourd’hui : la solidaritĂ©, la voix du peuple, les inĂ©galitĂ©s sociales, l’exil, l’espoir d’une maison commune.

    Le parcours artistique et trĂšs Ă©clectique de ces trois compagnons de route n’interdit pas une Ă©coute sincĂšre et un respect mutuel. Leurs chemins ont fini par se croiser et leur entente cordiale a suscitĂ© un projet lumineux nourri par une camaraderie indiscutable. La tradition orale des griots africains rĂ©siste ainsi Ă  l’érosion du temps. Qu’ils se racontent Ă  Paris, Memphis, Ouagadougou ou Brazzaville, nos trois compĂšres portent une parole utile en ces temps de confrontation stĂ©rile, de dĂ©fiance systĂ©mique et d’invectives absurdes. Ne soyons pas sourds Ă  ce message unitaire si mĂ©lodieusement servi par les mots et les notes du blues africain ancestral.

    Rendez-vous le 13 novembre au Studio de l’Ermitage Ă  Paris et le 17 novembre 2024 au festival « Blues Maron » sur l’üle de La RĂ©union pour acclamer le pertinent rĂ©pertoire du trio Soba.

    â–ș SOBA - Tounga (official video).

  • La chanteuse amĂ©ricaine Lizz Wright a un talent unique
 Elle sait jouer avec les diffĂ©rentes consonances des musiques afro-planĂ©taires. Sa tonalitĂ© vocale s’adapte Ă  de nombreux univers sonores. La Soul-Music, le Gospel, la Folk-Music, le Jazz, le Blues, nourrissent son expressivitĂ© depuis son tout premier album paru en 2003. 20 ans plus tard, cette voix pĂ©nĂ©trante continue d’ensorceler. Lizz Wright prĂ©sente aujourd’hui Shadow, sa derniĂšre lumineuse production inspirĂ©e par les enseignements de ses aĂźnĂ©s.

    Femme de convictions, Lizz Wright n’est cependant pas une activiste forcenĂ©e. Elle se voit d’abord comme une Ăąme sensible qui a appris Ă  choyer les vraies valeurs humaines et les dĂ©fend autant qu’elle le peut. Son statut d’artiste lui permet de transmettre des Ă©motions positives Ă  tous ceux qui l’écoutent et d’apaiser aussi ses propres tourments. Toujours en quĂȘte de sĂ©rĂ©nitĂ©, elle partage avec certaines de ses consƓurs cette aspiration Ă  une citoyennetĂ© Ă©quilibrĂ©e. Originaire de GĂ©orgie, elle a connu l’ñpretĂ© du sud des États-Unis, mais elle prĂ©fĂšre en donner une vision romantique que ses yeux d’enfant avaient magnifiĂ©.

    « Ma grand-mĂšre, Martha, avait l'habitude d’aller prier au pied d’un arbre prĂšs de sa maison. C’est une image dont je me souviendrai longtemps. Mon pĂšre me racontait beaucoup d’histoires Ă  ce sujet. Il y a dans le sud des États-Unis des contes et lĂ©gendes qui entretiennent le mythe des ancĂȘtres, qui dĂ©crivent le vent qui souffle, la pluie qui tombe, la nature qui s’épanouit. VoilĂ  ce que j'ai essayĂ© de restituer. Je veux tirer les leçons de ce que m’a enseignĂ© ma grand-mĂšre. Je me souviens de ses dĂ©clarations et de cette phrase qu’elle rĂ©pĂ©tait souvent : "J’aime tout le monde ! Je ne fais pas de diffĂ©rences !". Et, chaque fois, elle versait une larme en prononçant cette phrase. Quand j’étais gamine, je trouvais cela normal qu’une femme pieuse comme elle prononce de tels mots. Aujourd’hui, Ă  44 ans, je rĂ©alise que plus personne ne dit de telles choses, mĂȘme mes parents ! Je comprends aujourd’hui que ma grand-mĂšre me montrait la voie Ă  suivre et me faisait prendre conscience de la duretĂ© de ce monde troublĂ©. Elle m’a donnĂ© le courage de revendiquer ma place sur cette planĂšte sans attendre que quelqu’un ne me l’octroie. Je veux ĂȘtre responsable de l’amour que je donne et ne pas ĂȘtre un Ă©tranger pour autrui. VoilĂ  les belles valeurs que ma grand-mĂšre m’a transmises. » (Lizz Wright au micro de Joe Farmer)

    RĂ©vĂ©lĂ©e grĂące Ă  l’album Salt, Lizz Wright a gagnĂ© en confiance en participant en 2009 Ă  la tournĂ©e Sing the truth en hommage Ă  la regrettĂ©e Nina Simone. C’est Ă  ce moment prĂ©cis, aux cĂŽtĂ©s de Dianne Reeves, AngĂ©lique Kidjo et Lisa Simone, qu’elle a pris conscience que son avenir se jouerait sur scĂšne. « Nous voulions honorer la mĂ©moire de Nina Simone en mettant nos voix au service de son rĂ©pertoire. Nous voulions dĂ©montrer combien son patrimoine musical Ă©tait riche et imposant. Nous voulions Ă©galement mettre en relief les diffĂ©rents thĂšmes qu’elle Ă©voquait dans ses chansons. Et surtout, nous voulions revitaliser l’émotion de sa voix. Je serai toujours reconnaissante Ă  Danny Kapilian, le producteur de ce spectacle, de m’avoir conviĂ©e Ă  participer Ă  ce projet. Cette sollicitation tombait Ă  pic, car j’hĂ©sitais vraiment entre deux carriĂšres, la musique ou la cuisine. Il se trouve que mes colistiĂšres sur scĂšne Ă©taient aussi des cordons bleus. Finalement, je faisais une pierre deux coups. Je n’avais plus de choix Ă  faire ! » (Lizz Wright sur RFI)

    Sur son dernier album, Shadow, Lizz Wright s’est entourĂ©e de partenaires de choix dont la bassiste Meshell Ndegeocello. Leur complicitĂ© artistique rayonne sur le titre Your Love scellant une camaraderie sincĂšre qui dĂ©passe la collaboration artistique. Lizz Wright ne se prive d’ailleurs pas de faire la promotion de sa nouvelle partenaire dont elle ne tarit pas d’éloges. « Meshell est certainement l’une des plus grandes artistes de notre temps qui conjugue plusieurs disciplines. Elle est une bassiste super funky ! Elle est une fabuleuse compositrice, elle a beaucoup de sensibilitĂ©, elle transmet beaucoup d’émotions, et je suis trĂšs heureuse d’ĂȘtre son amie. Je vous recommande d’ailleurs d’écouter son dernier projet consacrĂ© Ă  James Baldwin. Si vous avez l’opportunitĂ© de voir ce spectacle sur scĂšne, ne vous en privez pas. J'ai eu la chance d'assister Ă  une reprĂ©sentation Ă  Chicago et j’en suis ressortie tout Ă©mue. Il se trouve, de surcroĂźt, que je suis une fan de James Baldwin. Je partage les valeurs humaines de Meshell. Je les exprime peut-ĂȘtre diffĂ©remment, mais nous considĂ©rons toutes les deux que l’amour et l’honnĂȘtetĂ© sont les piliers de la paix universelle quand tant de souffrances troublent ce monde. Parfois, il est bon de se regarder dans le miroir et de se demander oĂč l’on va et qui l’on est. Nina Simone a dit un jour : "Le devoir de l’artiste est de montrer la voie et de reflĂ©ter le temps prĂ©sent." Nous devons unir toutes nos voix pour atteindre ce but. » (Lizz Wright – Octobre 2024)

    Lizz Wright est une femme fort respectable dont les mots choisis appellent Ă  notre examen de conscience. Écoutons-la se raconter et prenons exemple. Sa poĂ©sie musicale prend sa source dans une Ă©popĂ©e lointaine façonnĂ©e par ses ancĂȘtres.

    â–șSite internet de Lizz Wright.

  • Au tournant des annĂ©es 70, le jazz afro-amĂ©ricain Ă©pouse les rythmes scintillants du funk, l’énergie du rock et la richesse des cultures mondiales. Cette fusion des styles et des sources sonores inspire alors le pianiste Herbie Hancock en quĂȘte perpĂ©tuelle de nouvelles expĂ©riences. Il crĂ©e en 1973 les Headhunters, formation Ă  gĂ©omĂ©trie variable qui Ă©pousera l’esprit d’ouverture de cette Ă©poque psychĂ©dĂ©lique Ă©chevelĂ©e. Un demi-siĂšcle plus tard, deux membres historiques de ce groupe lĂ©gendaire, Bill Summers et Mike Clark, se souviennent de cette aventure Ă©pique.

    « Je fais partie de ce groupe depuis 1974. J’aime ĂȘtre en compagnie de mes amis musiciens car c’est toujours un dĂ©fi de crĂ©er de la musique avec eux. Nous prenons beaucoup de plaisir Ă  ĂȘtre ensemble, nous rigolons bien. Nous avons voyagĂ© Ă  travers la planĂšte avec Bill et nous avons rencontrĂ© des milliers de personnes. Nous avons vĂ©cu des moments absolument incroyables. Certains membres du groupe nous ont quittĂ©s, d’autres sont arrivĂ©s, ce fut une expĂ©rience humaine trĂšs enrichissante tant au niveau spirituel que musical ». (Mike Clark, batteur des Headhunters).

    Bill Summers et Mike Clark sont deux musiciens issus de cultures diffĂ©rentes. Ils ont appris Ă  se connaĂźtre, Ă  s’apprivoiser et Ă  se respecter Ă  travers ce compagnonnage musical sincĂšre. S’il y a une constante dans l’intention artistique des Headhunters, c’est la dĂ©fense des patrimoines ancestraux et l’ouverture d’esprit. Les deux piliers du groupe ont fini par harmoniser leur propos alors que tout pouvait les opposer. Chacun a fait un pas vers l’autre et il est plaisant de les entendre narrer l’évolution progressive de leur prise de conscience jusqu’à la source africaine de l’expression artistique.

    « Notre contribution individuelle reprĂ©sente les piĂšces d’un puzzle planĂ©taire. Nous avons tous un rĂŽle Ă  jouer mais le jazz ne repose pas uniquement sur l'apport africain. Si l'on prend le corps humain comme symbole, le cƓur est africain mais les bras, les jambes, les mains, les doigts, les orteils proviennent de diffĂ©rentes rĂ©gions du monde. Ensemble, tous ces Ă©lĂ©ments composent un organisme vivant et multiculturel. Qu'importe de savoir si la tĂȘte est celle d'un Noir ou d'un Blanc. Du moment que le cerveau fonctionne, nous savons qu'il apportera la touche finale Ă  ce puzzle. Évidemment d'apparence, nous sommes diffĂ©rents. Un EuropĂ©en ne ressemble pas Ă  un Africain ni Ă  un Asiatique mais nous venons tous de la mĂȘme source. Nous avons juste fait Ă©voluer notre maniĂšre de rĂ©flĂ©chir et d'apprĂ©hender le monde. Mike et moi sommes deux ĂȘtres humains semblables mais nous reprĂ©sentons diffĂ©rentes branches de cet arbre dont le tronc est africain. Le sang qui coule dans nos veines est de la mĂȘme couleur mais nous ne percevons pas les choses forcĂ©ment de la mĂȘme maniĂšre. Il faut juste apprendre Ă  s'Ă©couter, Ă  recevoir des leçons et Ă  s'enthousiasmer... ». (Bill Summers, percussionniste des Headhunters).

    L’élan multiculturel des Headhunters est indĂ©niable. Les idĂ©es fusent continuellement dans ce groupe de virtuoses complices mais, derriĂšre cette propension Ă  marier les styles, il y a beaucoup de travail et une expĂ©rience Ă©prouvĂ©e. Depuis 50 ans, mĂȘme s’il y eut des absences prolongĂ©es, les Headhunters distillent un esprit de concorde entre les peuples Ă  travers une musique que tout le monde peut apprĂ©cier. D’abord Ă©tiquetĂ©s « jazz-rock » ou « jazz-funk », ils ont progressivement ouvert leur identitĂ© sonore Ă  d’autres tonalitĂ©s et peuvent ĂȘtre perçus comme de fervents partisans de la « sono mondiale ». Ils veulent juste conserver la libertĂ© que leur confĂšre leur statut de jazzmen.

    Le nouvel album des Headhunters, The Stunt Man, propulse encore plus loin ces incroyables instrumentistes au cƓur du XXIĂš siĂšcle. Leur musique, nĂ©e dans les annĂ©es 70, n’est pas si datĂ©e qu’on a pu le dire. Elle s’est adaptĂ©e aux Ă©poques, aux courants, aux modes, aux Ă©volutions sociales, aux goĂ»ts du public. Les Headhunters se produiront le 18 octobre 2024 au New Morning Ă  Paris, mais aussi Ă  Stockholm, Berlin, Milan, Varsovie, Ă  l’occasion du 50Ăš anniversaire du groupe.

    â–ș Site du groupe des Headhunters.

  • Les Parisiens qui ont assistĂ© aux grandes cĂ©lĂ©brations ƓcumĂ©niques de la chorale « Gospel pour 100 voix » connaissent indirectement la chanteuse amĂ©ricaine Linda Lee Hopkins. NĂ©e en Caroline du Nord aux États-Unis, elle s’est finalement installĂ©e en France au dĂ©but des annĂ©es 90 mais n’a jamais oubliĂ© la source de son inspiration. Elle nous prĂ©sente aujourd’hui Spirit & Soul, un album qui la rĂ©vĂšle enfin aprĂšs des dĂ©cennies aux cĂŽtĂ©s des grandes figures de « L’épopĂ©e des Musiques Noires ».

    Al Jarreau, Percy Sledge, Ray Charles, entre autres, ont Ă©tĂ© sĂ©duits par la mĂ©lodieuse tessiture de Linda Lee Hopkins mais le prestige de ces collaborations artistiques d’antan ne doit pas Ă©luder l’intention premiĂšre de porter une parole positive. Cette brillante artiste a aujourd’hui le dĂ©sir ardent de susciter un Ă©lan de bontĂ© et de gĂ©nĂ©rositĂ© Ă  travers ses scintillantes interprĂ©tations. Il fait dire que Linda Lee Hopkins sait, plus que quiconque, ce que le soutien moral signifie. EmbourbĂ©e autrefois dans un dĂ©dale de difficultĂ©s existentielles, elle a su remonter la pente et croire en son avenir.

    Sa foi l’a sauvĂ©e du prĂ©cipice et l’encourage chaque jour Ă  aller de l’avant. Son large sourire, son Ă©nergie et sa joie de vivre, dĂ©fient sans cesse ses anciens dĂ©mons. La chanson « Old Trouble », qui conclut son premier album sous son nom, est trĂšs explicite. Il faut trouver la force de rĂ©sister aux aspects les plus nĂ©gatifs d’une vie. Les souvenirs sont lĂ  mais ils ne doivent pas entamer l’enthousiasme du prĂ©sent. Croire en une bonne Ă©toile n’est pas un vain mot pour Linda Lee Hopkins. Sa spiritualitĂ© la protĂšge. Pour autant, le prosĂ©lytisme ne guide pas son discours. RĂ©sidente française depuis plus de 30 ans, l’esprit laĂŻque de sa terre d’adoption lui sied parfaitement. C’est au hasard de reprĂ©sentations en public qu’elle a pu noter les diffĂ©rences culturelles transatlantiques. L’attitude rĂ©tive des spectateurs français Ă  danser, chanter et battre la mesure, lors de messes gospel exaltantes, l’a d’abord surprise. Elle a alors redoublĂ© d’efforts pour que les codes sociaux s’effacent au profit d’une jubilation collĂ©giale.

    Comme elle aime Ă  le rappeler, vibrer sur un rĂ©pertoire sacrĂ© n’est pas dictĂ© par une croyance mais par un sentiment naturel d’abandon Ă  l’instant prĂ©sent. Profiter du moment sans s’inquiĂ©ter du regard des autres est le prĂ©alable au plaisir. Linda Lee Hopkins en est convaincue et le prouve chaque soir sur scĂšne. Aux cĂŽtĂ©s du guitariste Chris Lardeau, compositeur des principaux titres de son album, elle dĂ©fend avec beaucoup de persuasion cette vision bienveillante qui la hisse au rang des femmes de cƓur.

    â–ș Site officiel de Linda Lee Hopkins.

  • Bud Powell fut un pianiste prodigieux dont le talent subjugua ses contemporains, dont l’illustre Thelonious Monk. Affaibli physiquement et psychologiquement par les revers d’une destinĂ©e chaotique, il passera beaucoup de temps dans les hĂŽpitaux et maisons de repos, notamment en France, oĂč il rĂ©sidera Ă  la fin de sa vie. Le cinĂ©aste français Bertrand Tavernier s’inspira d’ailleurs indirectement de ce personnage insaisissable pour son film « Autour de minuit ». Bud Powell aurait eu 100 ans, le 27 septembre 2024.

    Earl Rudolph Powell naĂźt Ă  New York dans une famille de musiciens. Naturellement, son goĂ»t pour le jazz et la musique classique se dĂ©veloppe rapidement. Il Ă©volue trĂšs jeune dans de grandes formatons dont celle du trompettiste Cootie Williams. À cette Ă©poque, deux formes d’expression se cĂŽtoient aux États-Unis, le swing des Big Bands et le Be Bop de la gĂ©nĂ©ration montante. Bud Powell n’est alors qu’un observateur de cette confrontation stylistique qui oppose deux approches d’une mĂȘme culture jazz. De jeunes frondeurs, Miles Davis, Dizzy Gillespie, Charlie Parker ou Thelonious Monk, entre autres, s’autorisent une nouvelle lecture musicale qui bouscule le rĂ©pertoire de leurs aĂźnĂ©s, Duke Ellington, Cab Calloway ou Jimmie Lunceford. Bud Powell finira par Ă©pouser l’irrĂ©vĂ©rence de ses contemporains en devenant lui-mĂȘme un acteur de cette rĂ©volution artistique notable dans les annĂ©es 1940.

    Son langage sonore s’affine et s’affirme au fil du temps. Son jeu dĂ©licieusement fougueux attire l’attention de ses homologues. La virtuositĂ© de Charlie Parker au saxophone le fascine. Il parvient progressivement Ă  transposer cette vivacitĂ© mĂ©lodique au piano. Bud Powell devient un instrumentiste de talent que l’on remarque et que l’on acclame. La sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine reste cependant trĂšs inĂ©galitaire et l’aura d’un artiste noir ne le prĂ©serve pas des rĂ©flexes racistes et des exactions policiĂšres. Tandis que le public salue les prouesses du nouveau prodige sur scĂšne, sa vie bascule aprĂšs avoir Ă©tĂ© violemment frappĂ© Ă  la tĂȘte par un reprĂ©sentant zĂ©lĂ© de la force publique. Lentement, son esprit va se perdre dans un dĂ©dale de troubles mentaux qui le conduiront trop souvent dans des Ă©tablissements spĂ©cialisĂ©s.

    Bien que les annĂ©es 1950 soient une pĂ©riode discographique faste pour Bud Powell, ses ennuis de santĂ© perturbent son quotidien. La sĂ©grĂ©gation raciale ne contribue pas non plus Ă  son bien-ĂȘtre et sa vigueur dĂ©cline. C’est Ă  Paris que l’espoir renaĂźt. Francis Paudras, jeune publicitaire français et pianiste Ă  ses heures perdues, Ă©coute depuis des lustres les disques de Bud Powell. Lorsqu’il croise la route de son hĂ©ros, l’admiration se transforme en une complicitĂ© mutuelle. Prenant conscience des dĂ©boires de son camarade amĂ©ricain, Francis Paudras l’hĂ©bergera chez lui pendant de longs mois. La confiance reviendra, l’envie de jouer ressuscitera. Bud Powell retrouvera une forme de sĂ©rĂ©nitĂ© artistique et un fragile Ă©quilibre psychique. Il dĂ©cidera alors de retourner vivre Ă  New York en 1965. Il dĂ©cĂ©dera un an plus tard, le 31 juillet 1966 Ă  41 ans.

    Francis Paudras lui consacrera un ouvrage intitulé « La danse des infidÚles » paru en 1986.

    â–ș Le site web consacrĂ© Ă  Bud Powell

  • En juin 2010, le virtuose de la kora, Toumani DiabatĂ©, Ă©voquait sur nos ondes ses collaborations avec le maĂźtre de Niafunke, le regrettĂ© Ali Farka TourĂ©. À l’époque, l’album Ali & Toumani venait de paraĂźtre et immortalisait la derniĂšre rencontre discographique de deux icĂŽnes de « L’épopĂ©e des Musiques Noires ». Toumani DiabatĂ© nous a quittĂ©s le 19 juillet 2024 Ă  58 ans. RĂ©Ă©coutons-le se raconter avec sensibilitĂ© et modestie.

    TrĂšs jeune, Toumani DiabatĂ© avait Ă©pousĂ© les dĂ©licates sonoritĂ©s de la kora, instrument intimement liĂ© aux cultures ouest-africaines. Comme ses aĂźnĂ©s, il fut un conteur dont la mission Ă©tait de transmettre un savoir lĂ©guĂ© par l’oralitĂ© ancestrale des griots mandingues. La musique Ă©tait, pour lui, un langage universel qui lui permettait de porter une parole de paix et de tolĂ©rance. Cette forme d’expression spĂ©cifique accompagnait son discours d’homme sage. Toumani DiabatĂ© a, tout au long de sa vie, multipliĂ© les rencontres comme pour inciter ses contemporains Ă  partager leurs connaissances pour le bien commun.

    On le vit aux cĂŽtĂ©s du bluesman Taj Mahal. On le vit en compagnie du tromboniste de jazz Roswell Rudd. On le vit Ă©changer avec le banjoĂŻste BĂ©la Fleck. On le vit se mesurer au London Symphony Orchestra. On le vit rĂ©pondre aux sollicitations de la chanteuse islandaise Björk. On le vit s’amuser avec les rythmes latins du groupe Afrocubism. On le vit converser sur disque avec son fils Sidiki. Toumani DiabatĂ© dessinait un univers multicolore sans frontiĂšres. Son ouverture d’esprit lui a ouvert les portes de la renommĂ©e mĂȘme si les lauriers ne l’impressionnaient guĂšre. Il prĂ©fĂ©rait se livrer sur scĂšne ou en studio et susciter l’écoute. Il y parvint sans effort.

    Lorsqu’il nous rendait visite Ă  RFI, sa voix sereine et posĂ©e narrait toujours avec grĂące les histoires du quotidien. L’album Ali & Toumani, commercialisĂ© aprĂšs la disparition du grand Ali Farka TourĂ©, devint l’écho d’une camaraderie sincĂšre dont Toumani DiabatĂ© se plaisait Ă  rĂ©vĂ©ler les secrets Ă  notre micro. Entendre aujourd’hui les mots respectueux de Toumani pour Ali est, certes, Ă©mouvant mais, au-delĂ  de notre frisson, ce document radiophonique fait entrer dans notre mĂ©moire collective ces deux gardiens de la tradition.

    â–ș Toumani DiabatĂ© sur le site de World Circuit.

  • Il y a 40 ans, le guitariste, chanteur, chef d’orchestre et producteur amĂ©ricain, Prince Rogers Nelson, faisait paraĂźtre l’album qui allait le hisser au firmament de la gloire internationale. Purple Rain deviendra, en effet, le marqueur temporel d’une Ă©popĂ©e vertigineuse que le journaliste Ersin Leibowitch narre avec allant dans son dernier ouvrage Prince Xperience – Dans la tĂȘte du gĂ©nie (Hors Collection Editions).

    Si le succĂšs de Prince Ă  cette pĂ©riode charniĂšre de son existence ne souffre aucune contestation, l’envers du dĂ©cor est plus sombre. C’est en substance ce que tente de rĂ©vĂ©ler Ersin Leibowitch dans cet ouvrage vif qui s’intĂ©resse aux circonvolutions artistiques et psychologiques d’un vĂ©ritable gĂ©nie dont les obsessions, les frasques, les tourments, l’insatisfaction permanente, la boulimie crĂ©ative et l’arrogante incomprĂ©hension, le mĂšneront trop loin. Difficile de cerner un personnage aussi complexe et imprĂ©visible. C’est l’exercice auquel se livre l’auteur de ce rĂ©cit palpitant.

    Quelle lecture doit-on avoir de son dĂ©sir perpĂ©tuel d’indĂ©pendance face aux inĂ©vitables injonctions du marchĂ© discographique ? Avait-il raison de dĂ©fier les lois du marketing ? S’égarait-il en voulant conserver le contrĂŽle absolu de ses productions ? A-t-il finalement prĂ©cipitĂ© son inĂ©luctable isolement ? Le secret savamment entretenu de ses travaux lui a-t-il portĂ© prĂ©judice ou magnifiĂ© son image ? Prince Ă©tait un homme pĂ©tri de contradictions. En quĂȘte perpĂ©tuelle de nouveautĂ©s, il lui arrivait de faire volte-face, quitte Ă  dĂ©boussoler ses rares interlocuteurs, comptant sur la fidĂ©litĂ© rĂ©elle de ses aficionados.

    La frĂ©nĂ©sie de son quotidien lui a peut-ĂȘtre brĂ»lĂ© les ailes, mais comment ne pas saluer la qualitĂ© de ses rĂ©alisations et de ses prestations. Ses concerts, qu’ils fussent intimistes ou grandiloquents, ne suscitaient qu’admiration et acclamations. Ses apparitions surprises sur des scĂšnes nocturnes ont fait sa lĂ©gende. Le New Morning Ă  Paris eut le privilĂšge de l’accueillir trois fois lors de ces fameux marathons funk insensĂ©s. Prince Ă©tait un indiscutable maestro dont l’indicible talent fascinait. Le choc de sa disparition, le 21 avril 2016 Ă  57 ans, fut d’autant plus sĂ©vĂšre. Et pourtant, comme le raconte Ersin Leibowitch, les diffĂ©rentes piĂšces du macabre puzzle scellaient cette fin tragique aux barbituriques.

    Son lĂšgue patrimonial est gigantesque car, comme le regrettĂ© guitariste Frank Zappa, Prince conservait l’intĂ©gralitĂ© de tout ce qu’il enregistrait. Ses archives ne manqueront pas de surgir au fil des annĂ©es et nourriront l’appĂ©tit glouton de l’industrie du disque pour le plus grand bonheur des fans Ă©plorĂ©s.

    Site internet de Prince.

    À Ă©couter aussi Un tube, une histoire: «Purple Rain» de Prince

  • Le 25 septembre 1974, la ville de Kinshasa au ZaĂŻre s’apprĂȘte Ă  accueillir un combat de boxe historique. La rencontre devait opposer Mohamed Ali et George Foreman. Victime d’une blessure Ă  l’arcade sourciliĂšre, Foreman renonce temporairement Ă  affronter son meilleur adversaire. Si la confrontation sportive est dĂ©calĂ©e d’un mois, le festival de musique est, lui, maintenu aux dates initiales. James Brown, Miriam Makeba, Tabu Ley Rochereau, B.B. King, entre autres, seront de la fĂȘte et raviront les spectateurs congolais. C’était il y a 50 ans !

    L’intention de rapprocher les diasporas africaines transatlantiques est manifeste et Don King, promoteur amĂ©ricain de ce rendez-vous unitaire, y voit l’occasion de cĂ©lĂ©brer le peuple noir sous le haut patronage de l’omnipotent prĂ©sident Mobutu. Si l’enjeu politique de cet Ă©vĂ©nement n’échappa pas aux plus fins observateurs, l’élan universel rĂ©sista Ă  l’érosion du temps. Durant trois jours, des artistes unis par leurs origines ancestrales africaines cĂ©lĂ©breront leur force expressive commune. À cette Ă©poque, la fronde des mouvements de contestation contre la sĂ©grĂ©gation aux États-Unis peine Ă  Ă©branler les certitudes d’un pouvoir blanc toujours trĂšs rĂ©pressif. Les grands orateurs ont Ă©tĂ© rĂ©duits au silence. John Fitzgerald Kennedy, Malcolm X, Martin Luther King, Bobby Kennedy ne sont plus et les seuls porte-paroles, dĂ©clarĂ©s ou non, de la lutte antiraciste sont les artistes et les sportifs dont l’aura populaire provoque un sursaut citoyen.

    Mohamed Ali est alors une icĂŽne dont les discours sont Ă©coutĂ©s et dont les mots marquent les esprits : « Je pensais que le Congo Ă©tait une immense jungle avec des animaux sauvages prĂȘts Ă  nous attaquer parce que c'est l'image qu'en donnent les États-Unis. Les amĂ©ricains ont peur de venir ici. Et finalement, j'ai dĂ©couvert un peuple amical, un pays structurĂ© avec des aĂ©roports, des hĂŽtels, de jolies maisons, des boĂźtes de nuits, c'est trĂšs accueillant. Pour vous dire la vĂ©ritĂ©, je pense que la jungle se trouve Ă  New York. Vous avez des flics partout, armĂ©s jusqu'aux dents, on entend parler de meurtres tous les jours, de trafics de drogues, de viols de jeunes femmes, de vols Ă  la tire... Encore rĂ©cemment un type a fait irruption dans une banque et a tuĂ© 12 personnes, des accidents de train ont eu lieu, voilĂ  ce qu'est l'AmĂ©rique aujourd'hui ! Ici, c'est si calme, les sauvages sont aux États-Unis. J'ai beaucoup voyagĂ© et je peux tĂ©moigner de la diffĂ©rence entre plusieurs pays. J'arrive de Paris, et croyez-le ou non, ce sont des noirs qui pilotaient l'avion... Impensable aux États-Unis ! ». (Extrait du documentaire When We Were Kings rĂ©alisĂ© par LĂ©on Gast)

    Mohamed Ali n’est pas le seul Ă  revendiquer ses liens avec le continent africain. Le Roi du Blues, prĂ©sent Ă  Kinshasa en ce mois de septembre 1974, paraĂźt lui aussi atterrĂ© par l’image dĂ©sastreuse que la grande AmĂ©rique renvoie de l’homme noir Ă  travers la planĂšte et s’indigne des mĂ©faits de l’esclavage sur ses contemporains : « Je nous vois comme de pauvres noirs qu'on aurait abandonnĂ©s dans le dĂ©sert. On nous a sĂ©parĂ©s de notre culture ancestrale et larguĂ©s au milieu de nulle part. Nous savons que nous avons une terre quelque part sur cette planĂšte qui nous appartient. Nous ressentons les liens qui nous unissent Ă  cette terre, mais nous ne savons pas oĂč elle se trouve. Elle est en nous, mais nous devons trouver ceux qui pensent et vivent comme nous. Et aujourd'hui, nous sommes ici au ZaĂŻre, nous sommes trĂšs bien accueillis, et mĂȘme si nous ne comprenons pas la langue de ce pays, nous savons que des racines culturelles nous rapprochent au-delĂ  du temps qui passe, au-delĂ  des drames et des morts... » (Extrait du documentaire When We Were Kings rĂ©alisĂ© par LĂ©on Gast)

    Cette rĂ©union ƓcumĂ©nique de talents afro-confraternels ne rĂšglera Ă©videmment pas le problĂšme des discriminations. Les exactions se poursuivront et les injustices subsisteront mais, durant quelques heures, une volontĂ© sincĂšre de faire entendre la voix de la raison et d’afficher la puissance sociale d’une communautĂ© africaine soudĂ©e redonnera espoir aux combattants de la libertĂ©. Un demi-siĂšcle plus tard, ce vƓu n’est peut-ĂȘtre pas exaucĂ©, mais il inspire toujours les Ăąmes sensibles et les hommes et femmes de bonne volontĂ©.

    Le Festival Jazz de Kinshasa accompagne d’ailleurs cette annĂ©e cette profession de foi en choisissant de hisser le flambeau : « Jazz for Peace ».

  • Parler de « la musique africaine » est un non-sens tant ce continent recĂšle de rythmes, mĂ©lodies, traditions et langages divers. Est-il pertinent de rĂ©unir sous une seule banniĂšre des formes d’expression aussi diffĂ©rentes que le Makossa, l’Afrobeat, le Kwaito ou le Maloya ? Le dĂ©nominateur commun Ă  tous ces vocabulaires sonores ne peut ĂȘtre que la dimension internationale de leur histoire. Que l’on perçoive ou non cette Ă©vidence, les musiques populaires actuelles ont toutes un enracinement africain. Pour autant, les fondre dans une appellation gĂ©nĂ©rique serait fort rĂ©ducteur car chacune d’elles identifie un peuple, rĂ©vĂšle une culture, dĂ©termine sa place dans L’épopĂ©e des musiques noires.

    Tutu Puoane, Ablaye Cissoko ou Mokhtar Samba ont-ils des points communs ? Outre leurs origines africaines, ils ont tous une histoire propre qui les distingue les uns des autres. La chanteuse Tutu Puoane est une artiste sud-africaine qui dĂ©fend ses racines avec vigueur en mettant en musique les mots de sa consƓur poĂ©tesse Lebogang Mashile. Cette implication sincĂšre revĂȘt certainement un caractĂšre revendicateur mĂȘme si la principale intĂ©ressĂ©e prĂ©fĂšre parler de cĂ©lĂ©bration romantique de sa culture ancestrale. Tutu Puoane ne se considĂšre pas militante. Elle se plaĂźt seulement Ă  exprimer ses Ă©tats d’ñme qui, parfois, rejoignent les prĂ©occupations de ses contemporains. Sa participation au collectif « Black Lives – From Generation to Generation » en est une belle illustration. L’intention est louable puisqu’elle encourage la tolĂ©rance et l’unitĂ© des peuples du monde entier, sans discrimination, sans prĂ©jugĂ©s, sans idĂ©es prĂ©conçues.

    Ablaye Cissoko fait Ă©galement partie de ces esprits sages qui insufflent la concorde au-delĂ  des frontiĂšres gĂ©ographiques de son SĂ©nĂ©gal natal. Virtuose de la kora, il promeut le partage et l’écoute en multipliant les projets multicolores. Avec son ami Simon Goubert, brillant batteur français, il a imaginĂ© il y a 15 ans un orchestre dont les effluves musicaux transcendent les nationalitĂ©s. « African Jazz Roots » fit paraĂźtre un premier album en 2012 et veille depuis Ă  entretenir la flamme du consensus rythmique et mĂ©lodique. Une fois de plus, le continent africain, pĂ©tri de nombreuses sources sonores, nourrit l’universalisme de la musique.

    Le batteur Mokhtar Samba ne peut que souscrire Ă  cette dĂ©finition incontestable. Ce maestro de la cadence africaine assumĂ©e est le fruit de plusieurs cultures. Ses racines marocaines et sĂ©nĂ©galaises ont favorisĂ© son ouverture d’esprit et accĂ©lĂ©rĂ© sa comprĂ©hension de la « clave », ce rythme afro-planĂ©taire que des milliers de musiciens ont dĂ» apprĂ©hender pour dĂ©velopper leur personnalitĂ© artistique. Certains l’ont acquis avec effort, d’autres l’ont simplement ressenti et façonnĂ© Ă  leur guise. Pour Mokhtar Samba, la maĂźtrise de cet art est innĂ©e. Elle s’inscrit dans son ADN culturel. Il n’est d’ailleurs pas Ă©tonnant que son dernier album Safar soit un voyage international dont le tempo africain ponctue les diffĂ©rentes Ă©tapes.

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    Site internet Tutu Puoane Music

    Site internet African Jazz Roots

    Facebook Mokhtar Samba

  • DĂ©limiter l’espace caribĂ©en est souvent pĂ©rilleux car cette rĂ©gion du monde est une addition miraculeuse de cultures hybrides et de territoires ultramarins malmenĂ©s par l’histoire. Cette myriade de destinĂ©es populaires a donnĂ© naissance Ă  une identitĂ© revendiquĂ©e. Pourtant, ĂȘtre Antillais, JamaĂŻcain, Trinidadien ou Cubain, ne peut se rĂ©sumer Ă  une simple affirmation unitaire. Les spĂ©cificitĂ©s rĂ©gionales, les idiomes locaux, les rythmes et harmonies, distinguent chaque crĂ©olitĂ©. Les musiciens en sont les garants.

    Leyla McCalla est, certes, nĂ©e aux États-Unis mais ses racines parentales la ramĂšnent constamment Ă  la source haĂŻtienne de son expressivitĂ©. Chacun de ses albums distille cette Ă©manation originelle qui inscrit son ĂȘtre tout entier dans une histoire patrimoniale façonnĂ©e par les soubresauts existentiels de ses ancĂȘtres. Autrefois, Ă  Port-au-Prince, la petite Leyla Ă©coutait Radio HaĂŻti chez sa grand-mĂšre. Elle se souvient toujours aujourd’hui des voix et des musiques qui accompagnaient sa jeunesse auprĂšs de ses aĂŻeux. L’assassinat de Jean Dominique, directeur de cette antenne lĂ©gendaire, le 3 avril 2000, suscitera tant d’émoi que Leyla McCalla imaginera un album partiellement composĂ© d’archives sonores entendues sur cette station libre et indĂ©pendante. « Breaking the thermometer » sera l’écho de cette Ă©motion vive qui Ă©branla les partisans de la libertĂ©.

    HaĂŻti est une terre rebelle oĂč dĂ©fier le colonialisme est un combat ancestral. Le saxophoniste montrĂ©alais Jowee Omicil a fait paraĂźtre en 2023 un album destinĂ© Ă  panser les blessures. En remontant jusqu’au 14 aoĂ»t 1791, il convoque un passĂ© redoutable quand les esclaves de Bois-CaĂŻman, rĂ©unis lors d’une cĂ©rĂ©monie vaudoue, envisagent dĂ©jĂ  la fronde qui mĂšnera Ă  la rĂ©volution citoyenne de 1804 et Ă  l’indĂ©pendance de ce pays meurtri. Toussaint Louverture, figure Ă©minente de cet Ă©vĂ©nement historique, n’est cependant pas le pilier de ce disque audacieux. L’intention artistique est davantage mue par un dĂ©sir de guĂ©rison spirituelle que le free jazz peut nourrir. Ce jaillissement de notes multicolores est un cri libĂ©rateur que l’on doit accueillir avec candeur et comprĂ©hension.

    Les territoires caribĂ©ens ont tous souffert du poids de l’oppression europĂ©enne. La JamaĂŻque, par exemple, fut trĂšs longtemps administrĂ©e par la couronne britannique. Les soulĂšvements populaires rĂ©pĂ©tĂ©s furent souvent Ă©touffĂ©s par la mainmise d’une violente tutelle. Lorsque le pianiste Monty Alexander voit le jour le 6 juin 1944 Ă  Kingston, l’indĂ©pendance de la JamaĂŻque est encore loin d’ĂȘtre acquise. Les tensions politiques ne cessent de croĂźtre et poussent certaines familles Ă  rejoindre les États-Unis. Le jeune Bernard Montgomery Alexander Ă©chappera donc Ă  une jeunesse trop Ăąpre en suivant ses parents Ă  Miami et Ă  New York. Pour autant, ses souvenirs d’enfant jamaĂŻcain surgiront naturellement dans sa musicalitĂ© d’instrumentiste aguerri. À 80 ans, sa virtuositĂ© de jazzman n’élude pas sa culture initiale. Comme nombre de ses contemporains caribĂ©ens, Monty Alexander a su conjuguer son goĂ»t pour le swing amĂ©ricain et son attachement au ska et au mento jamaĂŻcains.

    Questionner son identitĂ© n’est pas forcĂ©ment un acte dĂ©libĂ©rĂ©. Souvent, une parole ou une mĂ©lodie suffit Ă  rĂ©vĂ©ler l’essence d’une tradition. Georges Granville ne revendique pas ses liens avec la Martinique, il les laisse apparaĂźtre. Son jeu au piano dĂ©voile sans ostentation une culture antillaise certaine mais il ne l’impose pas. Son album Perspectives nous laisse vagabonder dans son cheminement mĂ©lodieux. Les Beatles croisent Chick Corea, le BĂšlĂš semble circonvoluer avec Keith Jarrett. Cette crĂ©olitĂ© crĂ©dule est peut-ĂȘtre le dĂ©nominateur commun Ă  toutes les composantes de l’identitĂ© caribĂ©enne.

    Le site de Leyla McCalla

    Le site de Jowee Omicil

    Le site de Monty Alexander

    Le site de Georges Granville

  • La destinĂ©e du peuple afro-amĂ©ricain au fil des siĂšcles a fait naĂźtre, souvent dans la douleur, des formes d’expression revendicatrices dont la vigueur a identifiĂ© ce que l’on a appelĂ© la « Black Music ». Cette dĂ©nomination rĂ©unit des dizaines de genres musicaux qui continuent de se dĂ©velopper et de dessiner les contours de notre paysage sonore mondial. Le blues et le gospel sont les matrices de ces Ă©volutions progressives vers une universalitĂ© artistique. Nos invitĂ©s, auteurs, spĂ©cialistes, passionnĂ©s, relatent la genĂšse d’une culture sĂ©culaire.

    Dater la naissance de la musique afro-amĂ©ricaine est assez pĂ©rilleux car elle Ă©pouse la lente progression sociale de la communautĂ© noire outre-Atlantique. Elle est le fruit amer d’une rencontre violente entre colons europĂ©ens et esclaves africains. Elle est l’addition de rythmes et d’harmonies, de traditions sĂ©culaires et d’empreintes identitaires. La tĂ©mĂ©ritĂ© des musiciens noirs sera dĂ©terminante pour affirmer leur place dans une sociĂ©tĂ© profondĂ©ment inĂ©galitaire. Le blues et le gospel symboliseront cette recherche perpĂ©tuelle d’équilibre entre le profane et le sacrĂ©, entre le corps et l’esprit, entre la rĂ©alitĂ© du quotidien et l’espoir d’un avenir meilleur. Les artistes ont souvent Ă©voquĂ© cette quĂȘte de sĂ©rĂ©nitĂ© et de justice.

    La poĂ©sie des mots et la cinglante magie des notes ont façonnĂ© une histoire populaire qui transpire dans les Ɠuvres de nombreux instrumentistes et interprĂštes. Lead Belly fut un pionnier dont le rĂ©pertoire folk a rĂ©sistĂ© Ă  l’érosion du temps. Son patrimoine musical est un lĂšgue inestimable qui continue d’inspirer les crĂ©ateurs actuels. NĂ© Ă  la fin du XIXĂš siĂšcle, il connut les affres de l’homme noir confrontĂ© au racisme institutionnalisĂ©. Il y puisera une force rebelle qui finira par sĂ©duire ses contemporains. Ce cheminement tortueux a guidĂ© la plume d’Amaury Cornut, auteur d’un livre passionnant entiĂšrement consacrĂ© Ă  ce hĂ©ros mĂ©sestimĂ© de la composition narrative authentique.

    Lorsque l’on cherche les vestiges d’une aventure humaine exceptionnelle, certaines traces indĂ©lĂ©biles rĂ©apparaissent toujours et attestent d’un engagement sincĂšre. Le guitariste et chanteur Son House a failli Ă©chapper au rĂ©cit Ă©pique de la culture amĂ©ricaine. Disparu des radars pendant prĂšs de 20 ans, ce n’est qu’en 1963 que son nom rejaillit grĂące Ă  la curiositĂ© de jeunes adeptes du blues ancestral. Son retour dans le feu des projecteurs rĂ©habilitera son rĂ©pertoire qui, aujourd’hui encore, fascine les virtuoses de notre temps. Olivier Renault a su restituer ce pĂ©riple unique dans un ouvrage Ă©difiant paru aux Ă©ditions « Le Mot et Le Reste ».

    Batailler pour survivre fut tristement la norme aux États-Unis durant le XXĂš siĂšcle. Certains choisiront les armes, d’autres les priĂšres. Une fois encore, l’ambivalence entre le blues et le gospel rythmera l’activisme des citoyens noirs amĂ©ricains au fil des dĂ©cennies. La guitariste et chanteuse Sister Rosetta Tharpe fut l’une des vaillantes voix de la contestation pieuse. DerriĂšre ses prĂȘches enflammĂ©s se cachait une battante qui n’hĂ©sitait pas Ă  sortir du cadre spirituel pour assĂ©ner quelques vĂ©ritĂ©s et vivre pleinement ses convictions. Sa vigueur instrumentale dĂ©tona singuliĂšrement Ă  tel point qu’elle fut prĂ©sentĂ©e comme l’instigatrice d’un genre musical rĂ©volutionnaire, le rock ‘n’roll. S’agit-il d’un raccourci de l’histoire ? Jean Buzelin, auteur et spĂ©cialiste de la culture afro-amĂ©ricaine, s’est posĂ© la question dans une Ă©tude passionnante disponible aux Ă©ditions Ampelos.

    Qui peut rĂ©ellement dĂ©crĂ©ter que le rock’n’roll vit le jour ici ou lĂ  ? Cette irruption stylistique des annĂ©es 50 est le rĂ©sultat d’une mutation progressive que Belkacem Meziane dĂ©crypte dans une Ă©numĂ©ration littĂ©raire Ă©clairĂ©e des diffĂ©rents courants constitutifs du rhythm’n’blues initial. Du Boogie-Woogie Ă  la Soul-Music, le vocabulaire s’est enrichi et le tempo s’est affirmĂ©. L’élan frondeur a subsistĂ© et a nourri les soubresauts salvateurs de l’AmĂ©rique noire.

    â–ș Lead Belly, aux Ă©ditions Le Mot et le Reste

    â–ș Son House, aux Ă©ditions Le Mot et le Reste

    â–ș Sister Rosetta Tharpe, la femme qui inventa le rock'n'roll, par Jean Buzelin, aux Ă©ditions Ampelos

    â–ș Rhythm'n'Blues : Jump Blues, Doo-Wop & Soul Music - 100 Hits de 1942 Ă  1965, aux Ă©ditions Le Mot et le Reste.

  • Depuis le milieu des annĂ©es 80, le parc de la Villette Ă  Paris accueille avec gourmandise les musiciens les plus audacieux, intrĂ©pides et frondeurs. « Jazz Ă  la Villette » est l’hĂ©ritier de cette pĂ©rilleuse tradition qui entend bousculer les conventions et ouvrir l’esprit des spectateurs. Cette avide curiositĂ© pour les expĂ©riences sonores continue de nourrir l’inspiration des programmateurs qui, cette annĂ©e, au cƓur des Jeux Paralympiques, proposeront une affiche palpitante. Discussion Ă  bĂątons rompus avec Anne Sanogo et Frank Piquard, instigateurs de cette Ă©dition 2024.

    Si la diversitĂ© des cultures mondiales est le cƓur battant du festival « Jazz Ă  la Villette », le continent africain est le pilier de cet Ă©vĂ©nement annuel incontournable Ă  Paris. Qu’ils viennent des CaraĂŻbes, des AmĂ©riques ou d’Europe, les musiciens qui se produisent lors de cette manifestation d’envergure portent tous un regard vers la source africaine de leur expressivitĂ©. Ainsi, du 29 aoĂ»t au 8 septembre 2024, Tinariwen, Anthony Joseph, Kenny Garrett ou DelgrĂšs, entre autres, revitaliseront leurs racines ancestrales avec une jubilation communicative. L’effervescence populaire nĂ©e des Jeux Olympiques va certainement accompagner les prestations de tous ces instrumentistes aguerris.

    Pour l’occasion, « Jazz Ă  la Villette » se dĂ©multiplie en sortant de son espace gĂ©ographique habituel. Outre la Philharmonie et la CitĂ© de la Musique, d’autres prestigieuses salles de spectacles ouvriront leurs portes aux spectateurs et virtuoses enjouĂ©s. Le New Morning, le Studio de l’Ermitage, la Dynamo de Pantin, scintilleront de mille feux. L’atelier du plateau et le pĂ©riphĂ©rique-club vibreront Ă©galement sur des rythmes multicolores. La tradition est respectĂ©e. La flamme de l’éclectisme ne vacillera pas. Cette promesse jazz, hĂ©ritĂ©e de premiers concerts donnĂ©s il y a 40 ans Ă  la Villette, a rĂ©sistĂ© Ă  l’érosion du temps.

    Les souvenirs ne manquent pas. Miles Davis, Dizzy Gillespie, John Mayall, Nile Rodgers, Gregory Porter, Archie Shepp, Femi Kuti, Salif Keita, Chucho ValdĂšs, Oumou SangarĂ©, et tant d’autres, ont Ă©crit l’histoire vivifiante du jazz et des musiques connexes Ă  la Villette. Progressivement, ce lieu unique Ă  Paris a su dĂ©velopper une offre culturelle imposante et toujours enthousiasmante. L’intention patrimoniale n’était pas nĂ©cessairement une exigence initiale mais elle s’est imposĂ©e d’elle-mĂȘme au fil des annĂ©es. Il est heureux que cet Ă©lan mĂ©moriel parvienne malgrĂ© tout Ă  restituer l’air du temps. Le festival « Jazz Ă  la Villette » s’y emploie depuis des dĂ©cennies et nous le prouvera, une fois de plus, Ă  la fin de l’étĂ©.

    â–ș Le site de Jazz Ă  la Villette.

  • CrĂ©Ă© en 2016 dans le but de cĂ©lĂ©brer les Ă©changes interculturels de la diaspora africaine dans le monde, le « Paris New-York Heritage Festival » a progressivement Ă©voluĂ© en dĂ©veloppant des concepts interactifs sur plusieurs continents. En Afrique, en Europe, aux AmĂ©riques, ce rendez-vous annuel suscite des rencontres, des colloques, des ateliers, pour que les acteurs de la diversitĂ© se parlent et se comprennent. Cette annĂ©e, les festivitĂ©s accompagnent les Jeux olympiques grĂące Ă  divers Ă©vĂ©nements musicaux du 27 juillet au 15 septembre 2024.

    Benjamin LĂ©vy, instigateur de cet Ă©vĂ©nement international, Ă©volue dans l’univers artistique depuis des dĂ©cennies. Aux cĂŽtĂ©s des plus grandes figures du jazz, du blues, de la soul-music ou du gospel, il a soutenu des projets discographiques d’envergure, accompagnĂ© des prestations uniques, initiĂ© des programmes musicaux inĂ©dits. Son cheminement dans L’épopĂ©e des musiques noires lui a permis de croiser la route et de collaborer avec des personnalitĂ©s aussi prestigieuses que James Brown, Archie Shepp, Roy Ayers, Billy Cobham, Herbie Hancock, Tony Allen, Alpha Blondy, etc. Il sait donc mettre en scĂšne la pluralitĂ© Ă©clectique de notre XXIĂš siĂšcle.

    Lorsque Benjamin LĂ©vy inventa le Paris New-York HĂ©ritage Festival, l’intention Ă©tait de crĂ©er un pont transatlantique entre les diasporas afro-europĂ©ennes et afro-amĂ©ricaines. TrĂšs vite, ce choix Ă©ditorial montra ses limites. Par dĂ©finition, l’universalitĂ© de la musique imposait de se tourner, aussi et surtout, vers la source originelle des mĂ©tissages mondiaux, le continent africain, lui-mĂȘme. Ainsi, plusieurs villes vinrent grossir l’affiche de ce festival global : Johannesburg, Vancouver, MontrĂ©al, Los Angeles, finirent par rejoindre Paris et New York dans cette cĂ©lĂ©bration des patrimoines ancestraux. Subitement, les distances gĂ©ographiques n’existaient plus, seule la ferveur des spectateurs rendait ce dĂ©fi ƓcumĂ©nique palpable. Les hommages Ă  Fela Anikulapo Kuti, au gĂ©nial Prince, Ă  Gil Scott Heron, par leurs amis et contemporains nourrissaient l’esprit collĂ©gial et unitaire de cette grand-messe afro-palpitante.

    De Brian Jackson Ă  Vieux Farka TourĂ©, les plus grands reprĂ©sentants de la culture noire ont animĂ© ce festival au fil des annĂ©es. Aujourd’hui, l’enjeu d’une entente cordiale entre les peuples du monde entier est au centre de toutes les prĂ©occupations alors que les vellĂ©itĂ©s guerriĂšres fragilisent les Ă©quilibres gĂ©opolitiques. L’art peut ĂȘtre une voie d’apaisement. Au cƓur des Jeux olympiques, l’élan insufflĂ© par le Paris New-York Heritage Festival n’est pas anodin. Entendre les mots de la confĂ©renciĂšre et animatrice de radio sud-africaine, Nicky B, est une chance. Vibrer sur les notes caribĂ©ennes de David Walters est salutaire. Taper du pied en applaudissant le rythme funk du groupe canadien, The Brooks, rĂ©conforte. Tous ces moments sont la promesse d’une Ă©dition 2024 inscrite dans l’idĂ©al olympique. Rendez-vous dans la fan-zone de la Mairie du XVĂš arrondissement de Paris et au Parc AndrĂ© CitroĂ«n jusqu’au 15 septembre 2024 pour goĂ»ter aux valeurs fĂ©dĂ©ratrices de la musique et du sport.

    Programmation du festivalParis New-York HĂ©ritage Festival